Peut-on encore critiquer la police de Sarkozy ?
Peut-on encore critiquer la police de Sarkozy ?
A cause d'un reportage gênant pour la police, une journaliste de l'AFP est boycottée par les autorités et empêchée d'accomplir son devoir d'informer. Pour la place Beauvau, toute vérité n'est décidément pas bonne à dire. Pourtant, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité publie aujourd'hui le bilan de son action sous la forme d'un rapport très critique envers les forces de l'ordre. Baillonner les journalistes ne résoud pas le problème des bavures !
"Une vingtaine de policiers ont fait irruption dans l’appartement, ils nous ont fait tomber au sol, avec un coup de pied, mon frère et moi", raconte Adama, 17 ans, portant un hématome au visage après un "coup de matraque". "Ils m’ont écrasé la tête par terre comme une merde", ajoute le jeune garçon. Il affirme que des policiers, dans la précipitation, ont également poussé sa mère par terre, lui ont renversé de l’huile chaude sur un pied et jeté à terre les aliments, tandis que les deux frères étaient menottés et les autres membres de la famille alignés dans le couloir, mains sur la tête. Adama confie son désir de "se venger". Les yeux de Workya, une des filles de la famille, étincellent de colère. Son fils de deux ans et demi "s’est fait braquer un pistolet sur la tempe", dans sa chambre. La jeune femme de 27 ans n’a pas pu se rendre à son travail ce matin. Elle veut porter plainte. "Pour eux, on est juste une famille d’Arabes et de Noirs, ils nous considèrent comme des animaux", affirme-t-elle. Après leur intervention musclée, les policiers, à la recherche de cinq personnes à la suite des échauffourées avec des jeunes, dimanche 1er octobre 2006 au soir, dans le quartier, sont partis rapidement en disant "on s’est trompé", se dirigeant vers la porte voisine."
Cet extrait de l'article signé Raphaëlle Picard, pigiste permanente à l'AFP, raconte l'intervention policière aux Mureaux du 4 octobre dernier (en version intégrale ici), de façon si éloquente qu'on comprend aisément qu'il ait déplu aux autorités policières. C'est une chose de faire venir des journalistes pour mettre en scène le spectacle des forces de l'ordre pacifiant les djebels de nos banlieues, mais voilà que certains d'entre eux se croient permis de raconter ce qu'ils voient !
Frappée d'interdiction professionnelle
"Malhonnêteté intellectuelle", accuse le directeur adjoint de la police départementale, repris par le Syndicat Autonome des Journalistes, qui énumère la suite des démêlés de la journaliste de l'AFP avec les autorités : "Ce fut ensuite le directeur de la sécurité publique, a qui Raphaëlle avait demandé un entretien, qui l’a accusée d’avoir "produit des faux témoignages qu’elle n’avait pas pris soin de vérifier... auprès de la police" (sic). "Notre collaboration va s’arrêter là", lui a-t-il signifié. Ce fut encore (côté Justice), le procureur adjoint du parquet de Versailles qui lui a également signifié que sa porte était désormais fermée et qu’il "ne voulait plus jamais collaborer" avec elle. "On a toute la direction sur le dos...", a-t-il avoué. Enfin, last but not least, le directeur de la police judiciaire des Yvelines est monté d’un cran : "On va porter plainte...". Menace gratuite, fanfaronne et vide de sens, puisque, à ce jour, aucune espèce de plainte n’a été déposée devant une quelconque juridiction. Raphaëlle et par voie de conséquence l’AFP, se trouve désormais coupée de toutes les sources "officielles et institutionnelles", indispensables pour couvrir de façon rigoureuse, honnête et complète, l’actualité dans ce département." Le syndicat parle de "grave entorse à la liberté de la presse" et d' "invraisemblable atteinte au droit d’informer". Il n'est pas seul à tempêter, rejoint par le SNJ-CGT, le SNJ, FO, la CFDT et la Société des rédacteurs de l'AFP pour protester contre l' "interdiction professionnelle" dont est frappée la pigiste. Le communiqué est limpide : "Tout porte à croire qu'un certain nombre de responsables, au parquet et dans l'appareil policier, ont décidé de faire payer à notre consoeur ce reportage parfaitement inattaquable d'un point de vue journalistique, en la privant depuis plusieurs semaines d'informations" Faudra-t-il donc désormais, pour être autorisé à travailler, ne diffuser que la bonne parole du ministère de l'intérieur ? Il faut dans ce cas prévenir le magistrat Pierre Truche, président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), pour qu'il cesse de se livrer à une honteuse propagande gauchiste qui ne peut que miner le moral de nos fiers représentants de l'ordre en lutte contre la barbarie banlieusarde.
Les pompiers pyromanes / que fait la police
Que dit en effet le Bilan des six premières années d'activité 2001-2006 de la CNDS, publié hier sous la plume du président Truche, dont on peut lire l'intégralité sur le site de l'institution ? "Majoritairement saisie de dossiers concernant la police nationale, la Commission a été confrontée à de nombreuses situations dans lesquelles des manquements à la déontologie ont pu être observés". S'appuyant sur l'étude de 200 affaires, le rapport relève la propension à un "usage indu de la coercition (conduite au commissariat sans procédure ultérieure, placement en garde à vue injustifié, parfois en l'absence évidente d'une infraction, durée de garde à vue excessive)" et à l' "abus de l'usage de la force (fouille de sécurité systématique et menottage serré, gestes de maîtrise trop prolongés ayant conduit à des blessures, voire au décès d'étrangers illégaux au cours d'expulsions)". Le racisme fait l'objet d'une étude à part, menée en 2004, suite à l' "l'observation de situations et pratiques récurrentes mettant en scène les forces de l'ordre face à des minorités dites visibles". Le rapport annuel 2005 d'Amnesty International a enfoncé le clou, et fait dire à la présidente de la branche française de l'organisation, Geneviève Sévrin : "les mauvais traitements et les homicides racistes imputables à la police depuis dix ans ne sont pas des cas isolés (...) Les auteurs présumés de tels actes ne sont pas toujours amenés à rendre des comptes de leurs actes devant la justice". Odieux réquisitoire contre la police française ! Parlera-t-on là encore de malhonnêteté intellectuelle, de faux témoignages qu'on n'a pas pris le soin de vérifier ? On pourra museler toutes les Raphaëlle Picard que l'on voudra, la réalité des abus policiers reste. Et ce n'est certes pas avec cette stratégie de la tension, chère au fier-à-bras de la place Beauvau, que l'on viendra à bout de la - réelle - violence actuelle. On n'éteint pas un incendie en soufflant sur les braises.
Olivier Bonnet
PS : La revue Que fait la police ? est disponible en s’abonnant pour 10 euros à l’Observatoire des libertés publiques, 7/9 passage Dagorno, 75020 Paris.
PLUME DE PRESSE
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