"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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01 novembre 2006

Prémices de guerre?

Prémices de guerre?
par Dave Lindorff, Etats-Unis*

Alors qu’on entend parler de vifs débats à la Maison Blanche sur une éventuelle attaque militaire de l’Iran et de ses installations d’enrichissement d’uranium, The Nation a appris que le gouvernement Bush et le Pentagone ont ordonné le déploiement d’une importante flotte de combat comprenant le porte-avions nucléaire Eisenhower ainsi qu’une escorte de croiseurs, de destroyers, de frégates de sous-marins et de bâtiments de soutien dans le golfe Persique, au large des côtes occidentales de l’Iran. Cette information fait suite au communiqué du dernier numéro du Time Magazine – éditions papier et électronique – selon lequel des navires capables de miner des ports avaient reçu l’ordre d’être prêts à appareiller pour le golfe Persique le 1er octobre.

Comme l’écrit le Time Magazine dans son article de «une» intitulé «What would War Look Like?» (A quoi la guerre pourrait-elle ressembler?), des preuves du déploiement de dragueurs de mines et la nouvelle selon laquelle le chef des opérations navales a demandé de reprendre d’anciens projets de minage des ports iraniens «laissent penser qu’un projet abondamment débattu, mais resté jusqu’ici très théorique – est devenu réalité: celui de la préparation d’une guerre américaine contre l’Iran.»

Selon le lieutenant Mike Kafka, porte-parole du quartier général de la Seconde Flotte basée à Norfolk (Virginie), les navires de l’Eisenhower Strike Group, armés de quantités de missiles de croisière Tomahawk, ont reçu l’ordre de quitter les Etats-Unis dans un peu plus d’une semaine. D’autres sources officielles du Bureau des relations publiques du Département de la Marine du Pentagone confirment que cette puissante armada devrait arriver au large des côtes d’Iran aux alentours du 21 octobre.

Le porte-avions Eisenhower est resté stationné plusieurs années sur la base navale de Norfolk pour la remise à neuf et le ravitaillement de son réacteur nucléaire. Il n’était pas prévu qu’il parte pour une nouvelle destination avant un mois au moins, et probablement pas avant le printemps prochain. Les premiers à avoir parlé du prochain départ de l’Eisenhower Strike Group pour la région du golfe Persique sont des officiers en colère des navires concernés qui ont pris contact avec des opposants à la guerre, tel l’ancien colonel de l’Armée de l’air Sam Gardiner (cf. article page 2), et se sont plaints qu’on les envoie attaquer l’Iran sans que le Congrès se soit prononcé.

«L’affaire est très sérieuse», a déclaré Ray McGovern, un ancien analyste de la CIA spécialisé dans l’évaluation des menaces, qui a entendu parler très tôt de la plainte des officiers de la Marine concernant l’ordre subit de déploiement. (McGovern, qui avait travaillé pour la CIA pendant 27 ans, a démissionné en 2002 en signe de protestation contre ce qu’il estimait être des pressions de l’Administration Bush en vue d’exagérer la menace irakienne. Avec d’autres membres de la CIA critiques à l’égard du gouvernement Bush, il a constitué un groupe intitulé Veteran Intelligence Professionals for Sanity.)

Selon le colonel Gardiner, qui a enseigné la stratégie militaire au National War College, la date du 21 octobre prévue pour l’arrivée du porte-avions dans le golfe Persique est une «preuve très importante» de la préparation de la guerre. Il a déclaré qu’il savait que des forces navales avaient déjà reçu l’ordre de se préparer (PTDO) le 1er octobre. (Suite à un PTDO [Prepare to Deploy Order] tous les équipages doivent être à leur poste, les navires et les avions doivent être prêts à partir à une certaine date.) Etant donné qu’il faudrait à peu près 3 semaines pour que ces forces arrivent dans la région du Golfe, le 21 octobre semble bien être la date d’une attaque possible de l’Iran. «On ne peut pas recevoir un tel ordre et rester prêt longtemps. C’est un ordre important, cela n’a rien à voir avec un exercice.» Ce point a également été souligné par l’article du Time Magazine. […]

Que prépare la Maison Blanche?

«Je pense que le projet est de bombarder les sites nucléaires d’Iran», a déclaré Gardiner. «C’est une idée épouvantable qui va à l’encontre du droit américain et du droit international, mais je crois qu’ils ont décidé de le faire.» Selon Gardiner, alors que les Etats-Unis ont la possibilité de frapper ces sites avec leurs missiles de croisière, «Les Iraniens ont beaucoup plus d’options que nous. Ils peuvent faire intervenir le Hezbollah; ils peuvent organiser des émeutes dans tout le monde islamique, y compris au Pakistan, ce qui pourrait faire tomber le gouvernement Musharraf et permettre à des terroristes de s’emparer d’armes nucléaires; ils peuvent encourager les milices chiites d’Irak à attaquer les troupes américaines; ils peuvent faire sauter les oléoducs et fermer le golfe Persique.» La plupart des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient ont d’importantes populations chiites qui ont longtemps été un problème pour leurs dirigeants sunnites et pour les responsables politiques de Washington à cause des étroites relations entre les populations chiites et les chefs religieux iraniens.

Bien entendu, Gardiner en convient, les récents mouvements de navires et d’autres signes de préparatifs militaires pourraient n’être qu’un simple bluff destiné à montrer la fermeté des Etats-Unis dans les négociations sur le dossier du nucléaire iranien. Mais étant donné que les côtes iraniennes sont abondamment armées de missiles antinavires chinois Silkworm et peut-être d’armes antinavires russes encore plus sophistiquées contre lesquelles la Marine américaine n’a guère de défenses fiables, il semble peu probable que cette dernière risque de mettre ainsi en jeu ses précieux porte-avions et ses croiseurs. Et le bluff n’a pas été jusqu’ici un mode opératoire caractéristique de Bush. […]

Maurice Hinchey, député à la Chambre des Représentants, un des principaux opposants démocrates à la guerre en Irak, informé des ordres de préparatifs donnés à la Marine et de celui d’appareiller donné à l’Eisenhower Strike Group, a déclaré: «Depuis quelque temps, on se demande si les Etats-Unis ne vont pas attaquer l’Iran avant le 7 novembre afin d’exacerber la culture de peur que le gouvernement Bush cultive depuis plus de cinq ou six ans. Mais attaquer l’Iran serait une grave erreur, pour le Moyen-Orient et pour les USA. Cela ne ferait qu’aggraver l’hostilité et la peur qu’éprouvent les gens à l’égard de notre pays. J’espère que notre gouvernement ne sera pas fou et irresponsable à ce point-là. Les militaires sont très inquiets car on les met maintenant déjà à trop rude épreuve.» […]

Samedi, au National Mall de Washington, au cours d’une manifestation intitulée «Camp Democracy», McGovern, qui avait, le premier, confié à un groupe de militants antiguerre en Irak qu’il avait été mis au courant du déploiement du Strike Group, a lancé cet avertissement: «Nous avons à peu près sept semaines pour tenter d’empêcher cette prochaine guerre.»

Si le porte-avions Enterprise, actuellement en mer d’Oman, d’où il a bombardé les Talibans en Afghanistan et qui se trouve à la fin de sa période normale de six mois en mer, restait là-bas au lieu de retourner aux Etats-Unis, ce serait un indice solide de ce que l’envoi de l’Eisenhower fait partie d’une intensification des préparatifs. Un rapport de l’Enterprise sur le site Web officiel de la Marine évoque son rôle actuel dans les combats d’Afghanistan mais ne fait aucune mention d’un projet de retour à son port d’attache. La Marine elle-même ne se prononce pas sur les missions futures du navire. •

Source: The Nation du 21/9/2006