"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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03 novembre 2007

Les orangs-outangs victimes du pétrole vert


À Bornéo,
l'extension des plantations de palmiers à huile pour faire du
biocarburant constitue désormais le principal danger pour la survie de
ces animaux en voie de disparition.

 





QUAND il était jeune, Igin Gusen apercevait souvent des orangs-outangs
lors de ses visites dans la forêt pour cueillir caoutchouc ou rotin.
Mais aujourd'hui ce paysan du centre de la province indonésienne de
Kalimantan, sur l'île de Bornéo, a 65 ans et son mode de vie a changé
autant que la couleur de ses cheveux. « Maintenant on a des bateaux à moteur, et les orangs-outangs sont timides, ils n'aiment pas le bruit, explique-t-il. Ils sont partis plus loin dans la forêt. »

 

Plus loin, mais où ? Dans les environs de son village niché au bord de
la rivière, on ne trouve plus qu'une bande de jungle large de quelques
kilomètres. Les grands arbres ont été coupés pour laisser la place à
quelques plantations de caoutchoutiers ou de manioc, et surtout
d'immenses étendues de broussailles là où la terre est trop acide pour
supporter des cultures rentables. Les animaux, eux, se sont évaporés.

 

Selon les Nations unies, 98 % des orangs-outangs pourraient avoir
disparu d'ici 2022. Responsable ? La destruction de leur habitat.
L'Indonésie, seul pays au monde avec la Malaisie où vivent ces grands
singes, est entrée cette année dans le Livre des Records sous
le triste titre de champion du monde de la déforestation : on y détruit
l'équivalent de 300 terrains de football de forêt par heure. Avec eux,
disparaît le garde-manger de ses hôtes naturels.

 

Il y a trente ans à peine, l'île de Bornéo était recouverte à 80 % par
la forêt primaire. Mais sa couverture forestière ressemble aujourd'hui
à la fourrure d'un chien atteint de la gale : elle diminue à vue
d'oeil, si rapidement que, d'après l'ONU, elle pourra être totalement
dégradée d'ici quinze ans.

 

Chassés de leur habitat naturel, les orangs-outangs trouvent souvent la
mort lorsqu'ils s'aventurent à la recherche de nourriture dans les
plantations qui ont remplacé les grands arbres. Ils sont abattus par
les travailleurs agricoles qui les considèrent comme des pestes ou,
pour les plus chanceux, atterrissent dans des camps de réhabilitation
établis sur l'île, comme celui de Nyaru Menteng, géré par l'ONG Bornéo
Orang-outang Survival qui accueille 630 primates.

 

Orphelins nourris au biberon

 

Dans la forêt qui borde le parc, une trentaine de bébés jouent ou
boivent au biberon sur les genoux de jeunes femmes employées par le
centre. Tous sont orphelins, récupérés sur les zones de plantations
après que leurs mères ont été abattues. Ils resteront dans le centre au
moins jusqu'à 7 ans, âge auquel les jeunes peuvent survivre sans leur
mère. Ils seront ensuite relâchés dans la nature, si tant est que l'on
trouve une forêt qui pourrait supporter des animaux en plus. « Cela devient de plus en plus difficile », soupire Lone Nielsen, une Danoise en charge du projet.

 

À Bornéo, le principal moteur des scies n'est plus l'appât du profit
que l'on peut réaliser par la vente des grumes - la plupart des gros
arbres dans les zones relativement accessibles ont déjà été coupés et
vendus. L'ennemi numéro Un, c'est maintenant l'expansion des
plantations de palmiers à huile.

 

Ironiquement, l'expansion de ces plantations est alimentée par des
considérations partiellement écologiques, car l'huile de palme est
utilisée dans la fabrication de biocarburants, souvent présentés comme
une alternative à l'or noir. « C'est
de la folie pure de dire que les biocarburants sont une solution à nos
problèmes environnementaux ! Au contraire, ils y contribuent puisque ce
business encourage la déforestation »
, tempête Stephen Brendt, biologiste de l'ONG Bornéo Orang-outang Foundation International.

 

À Jakarta, on assure que l'expansion des plantations ne se fait pas au
détriment des forêts, mais seulement sur des terres déjà dégradées. Sur
le terrain, le constat diffère. Même les parcs nationaux ne sont pas
épargnés : à Tanjung Puting, connu grâce aux travaux du Dr Birute
Galdikas qui y étudie les orangs-outangs depuis plus de trois
décennies, un tiers du parc a été ouvert à des concessions forestières
et commence à être grignoté par les plantations de palmiers sur sa
frontière nord.

 

L'Indonésie et la Malaisie, les deux seuls pays où vit l'orang-outang,
produisent aujourd'hui à eux seuls quelque 90 % de l'huile de palme
consommée dans le monde. Et comme on estime que la demande mondiale de
ce produit devrait doubler d'ici à 2020, sous l'influence notamment du
boom des biocarburants, seule une forte volonté politique, contraire
aux intérêts économiques directs du pays, pourra sur le long terme
servir d'assurance-logement aux orangs-outangs.