Sauver l’Internet
Le principe de la "neutralité d’Internet" vient d’être débattu à la Chambre des représentants américains. Au premier abord, ce débat semble ne concerner que les spécialistes en Informatique, les Geeks. C’est pourtant un sujet crucial pour l’avenir du Net et les droits des internautes. L’Internet, sa richesse, sa souplesse pourraient être compromises si les Etats-Unies venaient à abandonner son "principe de neutralité".
En France, le débat sur le droit d’auteur est passé. Aux États-Unis, le débat se situe à un autre niveau, Les Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) souhaitent pouvoir facturer aux éditeurs de contenus le privilège d’un accès plus ou moins rapide à leur site. Le principe de neutralité du réseau à l’origine d’Internet est brisé. Pour écarter cette éventualité, les députés américains ont proposé au Congrès une loi dans laquelle figure le principe de la neutralité. 3M, Cisco Systems, Corning et Qualcomm, sont des détracteurs de cette loi. À l’inverse, Amazon, Google, Microsoft ou encore Yahoo ont appuyé le texte. C’est une véritable bataille de lobbying. Une multitude d’organisations se sont rassemblées sous le nom SavetheInternet.com, pour demander la loi la plus stricte possible afin de garantir la neutralité du réseau. Des personnalités aussi diverses que Moby, Tim Bernes-Lee ou Laurence Lessig, se sont également manifesté.
Le projet de loi proposé afin de garantir la neutralité d’Internet a été rejeté à 34 voix contre 22. Il est fort probable que le Sénat ne réintroduira pas cette proposition d’amendement. Tout n’est pas perdu pour autant, car 2006 est une année électorale aux Etats-Unis, et même si la loi sur les télécommunications était votée avant l’automne, il resterait au Président Bush à la ratifier.
Si la neutralité de l’Internet n’est pas garantit, la musique indépendante et les sites d’informations alternatives seraient ghettoisés, le choix des consommateurs limité et la concentration des médias accéléré. Ainsi, l’Internet deviendra une autoroute privée à péage contrôlée aux enchères par des sociétés comme AT&T.
L’Internet tel que nous le connaissons est en train de se fragmenter.
L’Internet tel que nous le connaisson aujourd’hui est constitué d’un réseau unique accessible par n’importe qui et de n’importe où. Quiconque peut créer un site Web qui pourra être visité par n’importe quel internaute, et ce quelque soit le pays d’origine de l’éditeur ou du lecteur. Malheureusement, tout ceci est en passe de changer.
La neutralité du réseau, c’est-à-dire le fait qu’Internet est un réseau unique et interconnecté, sans aucune préférence pour une de ses parties par rapport à une autre, est un principe en danger. L’Arabie saoudite, par exemple, bloque les contenus qui vont à l’encontre de son interprétation de l’Islam. La Chine empêche ses citoyens d’accéder à certains sites. Ces politiques nationales conduisent à la fragmentation de l’Internet. Le réseau unique auquel nous sommes habitués est en passe de se transformer en multiples réseaux. Être connecté en Chine n’est déjà plus la même chose qu’être connecté en France.
Les multinationales risque d’accélérer ce processus en concevant puis en produisant les routeurs et les algorithmes utilisés par certains gouvernements pour filtrer Internet. Certaines de ces grandes firmes ont d’ores et déjà admis qu’elles étaient prêtes à travailler dans un monde où il y aurait plusieurs réseaux au lieu d’un seul et unique. Prenons l’exemple de Google. Parce son moteur de recherche est fréquemment bloqué par les pare-feux chinois, cette entreprise a créé un moteur de recherche censuré pour ses clients chinois. Cette entreprise a estimé qu’il valait mieux participer à la censure dans ce pays plutôt que de perdre des parts de marché. Toutefois, les régimes répressifs ne sont pas les seuls à essayer de fractionner l’Internet.
Les clients du cable opérateur Shaw se sont par exemple aperçus que Vonage fonctionnait très lentement sur leur Réseau. Shaw a en effet récemment averti que les utilisateurs de tous les services de téléphonie Internet pourraient rencontrer des problèmes de connexion, à moins qu’ils acceptent de payer 10 dollars par mois en frais d’amélioration. On comprend mieux cette décision si l’on sait que Shaw propose un service concurrent de téléphonie numérique. De même, les opérateurs téléphoniques en Afrique coupent leurs services aux FAI dès que ces derniers permettent à leurs clients d’utiliser la téléphonie par Internet, afin de protéger le marché très lucratif des appels longue-distance.
Le prochain champ de bataille pour la neutralité du réseau sera vraisemblablement la distribution de services vidéos. BellSouth et AT&T ont annoncé leur projet de vendre des services premium qui permettront de distribuer les vidéos de certains fournisseurs plus rapidement que pour d’autres. Par exemple, si une entreprise comme Yahoo ! accepte de payer une certaine somme à AT&T, le temps de chargement de ses vidéos sera plus rapide et elles seront de meilleure qualité que des vidéos proposées par Google, dans l’hypothèse où Google aurait choisi de ne pas payer. Google a certes les moyens de jouer à ce petit jeu, car il se sait incontournable, mais une entreprise plus petite n’en sera pas capable. Ces services premium créent une barrière contre l’innovation dans un espace qui a pourtant été l’un des plus créatifs de l’histoire de l’humanité.
Que va-t-il se passer pour les entreprises dans ce nouveau monde ? Bientôt, il ne sera plus suffisant de savoir si on est connecté à Internet, il faudra aussi savoir où se situent les contenus auxquels on souhaite accéder, et également savoir si le fournisseur d’accès à Internet les considèrent comme étant premium ou sous-classés. Il ne sera plus possible pour une start-up de lancer son site sur Internet en sachant que celui-ci sera accessible de la même manière dans le monde entier. Parallèlement, les entreprises qui existent déjà vont découvrir qu’elles touchent désormais un public bien plus réduit qu’avant. La fragmentation de l’Internet, c’est la fragmentation des marchés.
De la même façon que les internautes chinois se sont habitués au fait qu’ils sont connectés à un réseau qui livre certains contenus rapidement et d’autres pas du tout, les Américains vont découvrir, à leurs dépens, les coûts induits par un réseau non neutre. Mais pour créer leurs services premium, AT&T et BellSouth doivent d’abord obtenir l’accord du Congrès américain. Les entrepreneurs et consommateurs, ainsi que les représentants politiques, doivent réfléchir à deux fois avant de créer un monde où existeraient des réseaux à plusieurs vitesses.
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