"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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08 avril 2006

LA LOI DADVSI DIFFICILE A APPLIQUER

La loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), adoptée en première lecture par les députés mardi 21 mars (Le Monde du 23 mars), met en place des contraventions visant les internautes fraudeurs en fonction de la gravité de leur acte. En l'état du texte, trois d'entre elles seront difficilement applicables.


L'internaute qui télécharge à des fins personnelles une oeuvre protégée est passible d'une contravention de 38 euros. Mais, techniquement, il est impossible de détecter l'acte de téléchargement sans requérir des fournisseur d'accès à Internet (FAI) une surveillance systématique de l'activité de leurs abonnés. Or cette requête est "exclue par la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique", dit Stéphane Marcovitch, délégué général de l'Association française des fournisseurs d'accès (AFA).

L'internaute qui met à disposition du public, sans intention commerciale, un fichier protégé est passible d'une amende de 150 euros. Cet acte est détectable par des dispositifs de surveillance automatisés, indépendants des fournisseurs d'accès. Mais, indique Christophe Pallez, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), "pour être dissuasif, il faudrait mettre en place un dispositif à grande échelle. On peut se poser des questions sur la faisabilité d'un tel système" qui appelle beaucoup de personnels et de gros moyens techniques et financiers. D'autant que les FAI facturent à la police ou à la justice "autour de 50 euros", dit Stéphane Marcovitch, chaque demande d'identification d'internaute. Autre problème : la loi ne dit pas si le titulaire d'un abonnement à Internet est présumé responsable d'un délit commis depuis son compte personnel.

Des sociétés d'auteurs avaient soumis à la CNIL un tel système de surveillance limité à certains logiciels de peer to peer (P2P) - utilisés pour échanger des fichiers protégés -, mais leur déploiement n'avait pas été autorisé. "Nous ne sommes plus dans ce cadre, précise toutefois M. Pallez, mais dans celui d'infractions constatées par la force publique." Dans ce cas, cette surveillance serait autorisée. Reste le plus difficile : trouver un système automatisé et efficace pour constater les infractions. "La grande variété de protocoles techniques d'échange de fichiers rend très complexe, sinon impossible, la mise en place d'un système unique de surveillance", dit Christophe Espern, membre de la Fondation pour le logiciel libre, opposée au texte de loi. En outre, ajoute M. Espern, "les internautes vont se retourner vers des systèmes cryptés et anonymes". Des logiciels comme Mute, Ants ou encore Grouper rendent impossible la détection systématique de la mise à disposition d'œuvres protégées.

Un spécialiste du dossier explique que le gouvernement pourra toujours choisir de mettre quelques officiers de police judiciaire dans un bureau, qui dresseront manuellement des contraventions. "Si c'est le cas, commente-t-il, la loi sera contre-productive : la probabilité d'être verbalisé sera très faible et le montant des contraventions n'est pas réellement dissuasif."

Le texte dispose enfin que l'édition, la commercialisation ou la distribution au public d'un logiciel "manifestement destiné" à des échanges non autorisés de musiques ou de films protégés est passible de sanctions pénales (jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende). Mais la majorité des éditeurs de logiciels de P2P ne sont pas français. En outre, la distribution de ces programmes se fait souvent par le biais de sites Web hébergés à l'étranger. "Notre plus grande crainte, dit M. Marcovitch, est de voir des décisions de justice nous contraindre à filtrer Internet pour rendre inaccessible tel ou tel site, au motif qu'il mettrait à disposition certains logiciels."

De telles contraintes seraient "inopérantes", selon lui. "D'une part, lorsque nous bloquons un site, nous bloquons tous les sites hébergés sur le même serveur, y compris ceux qui n'ont rien à voir avec le délit, précise-t-il. D'autre part, le temps de bloquer le site, le logiciel déclaré illicite aura migré sur d'autres serveurs et sera en définitive toujours accessible."
Stéphane Foucart