Lyon,Grenoble et les armes biologiques
Lyon, Grenoble et les armes biologiques
Si l’on vous demande où se trouvent les armes nucléaires françaises, que répondrez-vous ? Au plateau d’Albion, dans les sous-marins de l’île Longue, sous les ailes des avions mirage.
Et si l’on vous demande où se trouvent les armes biologiques françaises ? Elles n’existent pas, penserez-vous.
Vous en êtes certains ? Elles sont peut-être quelque part entre Lyon et Grenoble.
Elles sont manipulées par des ingénieurs, des chercheurs, des techniciens qui habitent peut-être près de chez vous, qui font leur marché le week-end, ont des enfants, une maison, des loisirs. Ils sont peut-être de votre famille, vous les croisez peut-être dans la rue chaque matin, vous avez confiance en eux.
Ce sont des assassins en blouse blanche, ils développent des bio et des nanotechnologies proliférantes, duales et mortifères.
1 - Des laboratoires "sans risque zéro"
"Il est absolument impossible qu’un virus sorte par accident du laboratoire. Le risque zéro n’existe pas, mais il reste purement théorique." Alain-Jean Georges, directeur du laboratoire Biomérieux, Lyon (Acteurs de l’économie, janvier 2005).
Etats-Unis, octobre 2001. Une série de lettres piégées à l’anthrax, bactérie qui provoque la maladie du charbon, fait 5 morts. Un mois après le 11 septembre, c’est l’affolement général dans la population. Evacuations de bâtiments, décontaminations de centres postaux, traitements préventifs de dizaines de milliers de personnes... Pour la première fois, une puissance occidentale est victime d’un attentat bioterroriste et prend conscience de sa vulnérabilité.
Les auteurs de ces ’’biocrimes’’ ? Ils restent inconnus. Mais un an après, l’enquête du FBI situait "la source des envois d’anthrax à l’intérieur de la communauté scientifique spécialisée. [...] le responsable de ces morts avait participé ou participait toujours aux programmes militaires de prévention contre les armes bactériologiques. [...] Les indices mènent tous vers des matériaux développés dans le cadre du programme de recherche américain sur les armes biologiques". (Le Monde, 04/07/2002)
Au centre des soupçons, le centre militaire de Fort Detrick, près de Washington. Plus exactement le laboratoire P4 de l’USAMRIID, l’Institut de recherche sur les maladies infectieuses de l’armée américaine. Le terme P4 désigne les laboratoires conçus pour manipuler des virus généralement mortels, ne connaissant ni traitement, ni vaccin, et se transmettant facilement, notamment par aérosols. "Alors même que l’USAMRIID participe à l’enquête sur les lettres contaminées, il est également soupçonné d’être la source potentielle du charbon - et peut-être le repère du terroriste lui-même. La souche du bacille, nommée Ames, qui était contenue dans les lettres, a été cultivée ici après avoir été isolée chez une vache texane, même si par la suite elle fut envoyée à plus d’une douzaine de laboratoires." (Courrier international, 5/11 sept 2002)
Fort Detrick peut sembler bien loin de nous. Il paraît bien plus proche quand on sait qu’il existe 7 laboratoires P4 dans le monde, dont un en France, basé à Lyon (Acteurs de l’économie, janvier 2005). Bien plus proche quand on sait que le seul laboratoire français spécialisé dans les recherches biologiques militaires se trouve à La Tronche, près de Grenoble.
Le laboratoire de la Tronche est relativement connu. Il a été médiatisé par l’affolement suite au 11 septembre 2001. Les puissances occidentales redoutent alors une attaque bioterroriste à la variole. Symptômes : forte fièvre, éruption de pustules ulcéreuses. Contagion : par voie aérienne et par contact des plaies. Taux de mortalité : élevé. Traitement : aucun n’est absolument efficace, mais il existe un vaccin. Les Etats-Unis décident de vacciner plusieurs millions de personnes. La France, qui a cessé la vaccination obligatoire des Français en 1979 suite aux effets secondaires parfois dangereux, constate son manque de vaccins antivarioliques. Il s’agit de reconstituer les stocks, au plus vite. Le Centre de recherches du service de santé des armées (CRSSA), en face du CHU de Grenoble, sera réquisitionné. Fort de ses 300 personnes, de son laboratoire de virologie et de ses 4,5 millions d’euros de budget annuel, il est le seul en France à être spécialisé dans les risques nucléaires, biologiques, chimiques. On vit alors "les chercheurs du CRSSA sous les feux de l’actualité" (Dauphiné Libéré, 17/10/2001).
Le laboratoire P4 "Jean-Mérieux" de Lyon est beaucoup plus discret, "se méfiant pire que la peste de la publicité." (Acteurs de l’économie, janvier 2005). On comprend vite pourquoi. Rue Tony Garnier, dans le 7ème arrondissement, on manipule "les virus dangereux pour lesquels on ne dispose ni de vaccin ni de traitement efficace, comme ceux des fièvres hémorragiques Ebola, Lassa et Marburg." (Le Monde, 24/10/2001). C’est "le seul de cette importance en Europe, en raison notamment de la présence d’une animalerie qui permet des tests sur les rongeurs, essentiellement, mais aussi quelques primates, le cas échéant. [16 cages]" (Acteurs de l’économie, janvier 2005). Construit en 1999 par la Fondation Mérieux "sans appel d’offre ni enquête préalable auprès des riverains" (Science et Vie, nov 2000), il est sous la responsabilité de l’Inserm, Institut National de la santé et de la recherche médicale, qui dépend des ministères de la santé et de la recherche. 70 personnes y travaillent. Mais le laboratoire P4 accueille aussi des chercheurs du CNRS, de l’Université Lyon I, de l’école normale supérieure, de l’Institut Pasteur, et bien sûr du CRSSA de La Tronche. But officiel de ce projet de 10 millions d’euros ? Diagnostiquer les agents pathogènes et s’en protéger. "Ce laboratoire fait partie de l’œuvre humaniste du docteur Mérieux" précise le professeur Alain Georges, directeur du P4 (Acteurs de l’économie, janvier 2005). Rappelons que le patron de la société BioMérieux est Alain Mérieux, ami de Charles Millon et de Jacques Chirac, deux grand humanistes.
Pour la sécurité du laboratoire, tout semble avoir été pensé : "badge à présenter, code confidentiel à composer, plusieurs sas à franchir, scaphandre à enfiler." (Le Monde, 24/10/2001). "L’air est changé 25 fois par heure et passe par trois filtre ’absolus’ avant d’être rejetés dans l’environnement" (Acteurs de l’économie, janvier 2005). L’animalerie est sans issue de secours "afin de parer à toute éventualité - y compris une action de commando anti-vivisection." "Tous les utilisateurs ont reçu un entraînement au stress" explique Thierry Valet, responsable de la sécurité (Acteurs de l’économie, janvier 2005). "Les dimensions infimes des virus -certains mesurent moins de 50 nanomètres de diamètre- imposent des précautions extrêmes. Ils peuvent filtrer à travers le béton ou le caoutchouc, mais les nouveaux matériaux synthétiques et les scaphandres issus de la technologie nucléaire permettent aujourd’hui de relever le défi." (Science et Vie, nov 2000). Bref, une machinerie de haute précision. "Il ne peut y avoir de laisser-aller. L’idée de vétusté, même relative, est à exclure. Un outil comme celui-ci nécessite un entretien parfait, comme un avion." Souligne le Professeur Girard, directeur du département de virologie de l’Institut Pasteur et co-responsable des activités du P4. (Science et Vie, nov 2000) Au moins, est-ce efficace ? "Il est absolument impossible qu’un virus sorte par accident du laboratoire. Le risque zéro n’existe pas, mais il reste purement théorique." souligne le directeur Alain-Jean Georges (Acteurs de l’économie, janvier 2005).
"Le risque zéro n’existe pas"... Les mots ont un sens que les lyonnais apprécieront. Alain-Jean Georges a sans doute oublié qu’un risque ne se mesure pas à sa probabilité, aussi infime soit-elle, mais à ses conséquences, ces "virus dangereux pour lesquels on ne dispose ni de vaccin ni de traitement efficace."
Et les vols, sont-ils à craindre ? "Quant à l’éventualité d’un ’casse’ à des fins terroristes, il est possible mais peu probable, le laboratoire n’abritant que de petites quantités de germes, insuffisantes dans la perspective d’une action malveillante." (Acteurs de l’économie, janvier 2005) C’est oublier que la multiplication des germes est à la portée de tout laboratoire bien équipé, le plus important étant de récupérer la souche originelle... En 1998, des journalistes de Sciences et avenir ont fait un test : peut-on voler des éléments pathogènes de l’Institut pasteur ? "Très facilement, ils se sont retrouvés devant un réfrigérateur non verrouillé contenant des fioles de toxines botuliniques" [La plus mortelle des toxines connues] (Sciences et avenir, nov 2001) Réponse de l’Institut à l’époque : "Même dans un bâtiment ultraprotégé, le problème se poserait. Si un terroriste veut récupérer une souche, il se fera passer pour un étudiant." (Sciences et avenir, nov 2001) Guère rassurant quand on lit que "Le P4 Jean Mérieux a une vocation de laboratoire d’accueil pour des équipes extérieures." (BIOFUTUR, octobre 2004)
Mais continuons notre liste des menaces pesant sur le laboratoire P4 de Lyon, c’est-à-dire sur nous. Les attaques terroristes sont-elles prévues ? "Bien des scénarios ont été passés en revue, du tir de bazooka auquel la structure peut résister jusqu’à l’irruption d’un commando". (Le Monde, 24/10/2001). Et en cas d’avion qui s’écrase, en cas de bombe ? "Aucune parade ne semble avoir été envisagée en ce qui concerne les effets dévastateurs d’un éventuel attentat à la voiture piégée." (Science et Vie, nov 2000) "La nuit, les camionnettes circulent dans l’enceinte pour livrer le laboratoire d’analyses médicales mitoyen. Il est vrai qu’il y a beaucoup de va-et-vient et qu’on ne peut pas tout surveiller.", admet le professeur Girard (Science et Vie, nov 2000). Mais le préfet du Rhône tient à nous rassurer : "Dans l’hypothèse (peu probable) d’une agression de type explosif entraînant une rupture massive du confinement, les virus seraient tous détruits car ces derniers ne supportent pas des températures supérieures à 50 degrés". (’Science et Vie, nov 2000)
Nous voilà moins optimistes quand, quelques lignes plus loin, le même article nous apprend que "le chauffage à 50 degrés des virus n’est efficace que s’il est prolongé pendant au moins trente minutes." Notre préfet du Rhône semble être au courant, puisqu’il a classé le P4 comme "un point sensible au plan militaire." Sa sécurité "relève d’une commission nationale de hauts gradés qui [...] a donné son aval dans un document classé ’’confidentiel Défense’’. (Science et Vie, nov 2000) "Confidentiel Défense"... Là encore, les lyonnais apprécieront.
Cette brève présentation des laboratoires lyonnais et grenoblois ne manquera pas d’attiser la polémique. Gageons que pour les plus optimistes, il ne faut pas verser dans le "catastrophisme". La France n’est pas les Etats-Unis. Le P4 de Lyon n’est pas celui de Fort Detrick. Pour les plus pessimistes (ou les plus responsables, c’est selon), Biomérieux et le CRSSA sont vulnérables aux vols, aux attentats, aux fuites des savoir-faire et aux accidents.
2 - L’horreur scientifique
"Les OGM, ça sert aussi à faire la guerre." (Le Monde, 19/01/2002).
Lyon et Grenoble n’abritent pas seulement deux laboratoires "sans risque zéro". Ces villes sont également le fer de lance européen des bio et nanotechnologies.
En Isère, 7000 personnes travaillent dans les biotechnologies. Premier centre de recherche technologique en Rhône-Alpes : le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) de Grenoble. Celui-ci regroupe 3000 personnes, dont autant de biologistes que de physiciens (La menace, bioterrorisme : la guerre à venir, Dominique Leglu, Laffont, 2002). Un chiffre qui doublera avec l’ouverture en 2005 de Minatec, pôle de nanotechnologies cofondé par le CEA et l’Institut National Polytechnique de Grenoble (INPG). 4500 professeurs, chercheurs, ingénieurs, étudiants, pour 169 millions d’euros d’investissements (dont 75% publics). Minatec devrait être lui-même accompagné de Biopolis, structure visant à développer la liaison recherche-industrie autour des biotechnologies. Citons également le "Rhône-Alpes Génopole" et le "Cancéropôle", tous deux spécialisés dans la génomique (connaissance des gènes) ou la protéomique (connaissance des protéines).
Tous ces projets sont présentés comme porteurs d’innovations dans le domaine médical et industriel. "Après la miniaturisation apportée par les microtechnologies, les nanotechnologies permettront des avancées significatives pour l’étude du vivant. A l’échelle du nanomètre, les dimensions du monde biologique (molécules telles que acides nucléiques et protéines) sont atteignables par des nano-outils physiques ou chimiques, et permettent de repousser les frontières de notre connaissance..." (Françoise Charbit. Cellule de Développement Régional, projet NanoBio, CEA Grenoble, INPG)
Minatec, Biopolis, Genopole, Canceropole... Inutile de préciser que toutes ces installations sont copieusement financées par les collectivités locales, le conseil général de l’Isère et le conseil régional Rhône-Alpes. "Ici, les élus ont été vaccinés à la high-tech. Cela permet d’avancer plus vite et d’éviter de se poser des questions métaphysiques." nous explique François Brottes, député PS du Grésivaudan, maire de Crolles (Le Monde, 17/04/02).
Mais voilà, le "high tech" a son revers. Les bio et nano sont des technologies duales qui suscitent les plus vives inquiétudes.
Un exemple ? La manipulation des gènes. Le dossier "bioterrorisme" du magazine BIOFUTUR d’octobre 2004 est riche d’enseignements. Voici ce qu’affirment Patrice Binder, médecin chef au service de santé des armées, et André Ménez, chercheur au CEA : "Les micro-organismes génétiquement modifiés sont une source potentielle d’agents biologiques pour des terroristes." Et nos chercheurs de dresser une "liste non exhaustive des propriétés qui pourraient être recherchées" : "micro-organismes anodins transformés pour lui faire produire une toxine bactérienne, animale (scorpion), végétale (ricine)", " micro-organismes résistant aux antibiotiques (antiviraux), aux vaccins classiques", " micro-organismes exprimant des antigènes déjouant les systèmes de détection ou de diagnostic standart". Et oui, "Les OGM, ça sert aussi à faire la guerre." (Le Monde, 19/01/2002). On peut "insérer les gènes de la toxine du choléra dans le génome de bactéries coliformes. Pas de détection possible avec de simples analyses biologiques." "On peut prendre aussi le virus du rhume, y incorporer une portion de gène d’une toxine de scorpion, par exemple, et en faire quelque chose de plus dangereux que le banal coryza." (Sciences et avenir, nov 2001) ou encore "greffer des éléments du virus du sida dans le virus de la grippe" (Le Monde, 15/07/2002). On continue la liste des horreurs ? "On peut rendre pathogène une bactérie inoffensive et bien connue, telle Escherichia coli, en lui insérant des gènes de toxicité empruntés au génome de bactéries dangereuses. [...] Ces techniques sont déjà pratiquement maîtrisées." (Le Monde,19/01/02)
De la science-fiction ? Pas vraiment. La revue scientifique Vaccine nous apprend qu’en décembre 1997, des savants russes ont modifié génétiquement une souche de maladie du charbon de façon à la rendre insensible aux vaccins existants contre cette bactérie. "Le génie génétique permet maintenant, en manipulant le génome des agents classiques de la guerre biologique -peste, maladie du charbon, tularémie, etc.- de les rendre beaucoup plus dangereux qu’ils ne le sont déjà." (Le Monde, 19/01/02)
Et dans ce domaine, l’imagination est sans limite. Découvrez les ’’armes ethniques’’ ! "introduire un virus ’’silencieux’’ dans le génome d’une population donnée, virus qui serait réveillé ultérieurement par un signal chimique. [...] L’idée, explique David Sourdive, un spécialiste français de l’étude des génomes, est de réaliser une arme ciblée sur une population choisie et préalablement ’’marquée’’ par un virus." (Le Monde, 19/01/02) On imagine l’intérêt militaire d’une telle application...
Un second exemple de biotechnologie duale ? Les microbiologistes s’intéressent aux peptides, des molécules encore plus petites que les protéines. Dans l’organisme, elles régulent la production d’autres molécules, par exemple les hormones. De ce fait, elles jouent un rôle dans le sommeil, l’humeur ou les émotions. Le contrôle des peptides pourrait constituer des armes biologiques "incapacitantes", c’est-à-dire neutralisant l’adversaire sans le détruire totalement. Les recherches sont abondantes dans ce domaine, notamment "au CEA (Direction des sciences du vivant) où l’on travaille au clonage et à la synthèse de gènes produisant ces toxines d’un nouveau genre, afin d’apprendre à s’en prémunir." (Dominique Leglu, opus cité) Seulement à s’en prémunir ?
Autre illustration de la dualité microbiologique : la création ex nihilo de virus. La revue Science explique comment, en juillet 2002, des chercheurs du département de génétique moléculaire et de microbiologie de New York ont réalisé la synthèse chimique de l’ADN du virus de la polio, "à partir de séquences d’ADN achetées par correspondance et d’une formule chimique trouvée sur Internet." (Libération, 03/10/2002)
Donnez-nous les plans, nous fabriquons le virus ! Or "Si l’on peut créer -ou recréer- par synthèse un virus comme celui de la poliomyélite, rien n’interdit d’imaginer que d’autres constructions de formes de vie à partir d’éléments inertes sont possibles." (Le Monde, 15/07/2002)
Pourquoi pas la variole, la peste bubonique, l’Ebola...
Nous pourrions allonger cette liste des horreurs biotechnologiques. Dominique Raymond-Vidal, chercheur au CRSSA, nous met en garde : "Les progrès des sciences pharmaceutiques, et de la galénique en particulier, avec les nanotechnologies, la micro-encapsulation, les adjuvants, les antistatiques, la stabilisation des substances biologiques, des poudres et des aérosols, sont également à prendre en compte dans le risque de détournement à des fins agressives." (BIOFUTUR, octobre 2004)
Comme le résume si bien un expert de la délégation générale de l’armement : "En fait, il n’y a rien en biologie qui ne soit transposable sur le plan militaire." (Le Monde, 19/01/2002)
Et les militaires ne s’y trompent pas, semble-t-il. Ils sont présents dans tous les projets bio et nanotechs Rhône-Alpin. Le CEA et la DGA sont partenaires de Minatec. Le CRSSA est impliqué dans le P4 de Lyon. Le projet de recherche ’’Nanobio’’ (voir partie 3) est le fer de lance du CEA. L’armée est au conseil d’administration de l’ADEBAG, l’association pour le développement des biotechnologies à Grenoble, qui porte le projet Biopolis. C’est bien simple, l’armée est partout.
La dualité des bio et nanotechnologies ? Les chercheurs en sont parfaitement conscients. Des mises en garde apparaissent régulièrement dans leurs publications. Ainsi, toujours Dominique Raymond-Vidal : "Les scientifiques doivent être avertis des risques de détournement de leur recherche et ils doivent conduire leurs projets selon des règles d’éthique rigoureuses." (BIOFUTUR, octobre 2004).
Et la population, doit-elle être avertie ? Quant aux "règles d’éthique rigoureuses", qui les établit, qui les contrôle ? Notre chercheur grenoblois du CRSSA n’a sans doute pas lu les articles de son collègue du CEA : "Les gènes de la plupart des micro-organismes (virus, bactéries...) sont manipulés ou transférés dans le cadre de recherches agroalimentaires, industrielles et surtout en santé humaine, animale ou végétale tout à fait légitimes. Mais les connaissances ainsi acquises ont un caractère dual qui ne peut être occulté." (BIOFUTUR, octobre 2004) En bref, les biotechs sont dispersées à tout vent, dans l’industrie et l’agriculture. Ce qui n’empêche pas les mêmes chercheurs de réclamer un "débat éthique", " un contrôle scientifique et réglementaire" pour "éviter que ces constructions ne soient source de prolifération" de "technologies et de savoir-faire". (BIOFUTUR, octobre 2004). Autant de belles déclarations d’intentions reprises allègrement par Le Monde, Libération, les revues spécialisées, etc.
Mais si les risques des bio et nano-recherches font l’unanimité, personne ne remet en question la recherche elle-même. Celle-ci est toujours présentée comme humaniste et désintéressée . Un refrain bien résumé par Patrice Binder et André Ménez, du CEA : "Si les biotechnologies sont développées pour le bien de l’humanité, on ne peut exclure, a priori, la possibilité de détournements de ces intentions louables." (BIOFUTUR, octobre 2004). Ah, si des méchants ne s’emparaient pas de nos gentilles découvertes... On tombe des nues devant la (fausse) naïveté de ces grands scientifiques. Comme si un siècle de progrès sans merci (film, Jean Druon, 2001) n’avait pas mis en évidence que toute technologie est, tôt ou tard, utilisée de la pire manière qui soit. Comme l’ont expliqué Jacques Ellul (Le système technicien, Le cherche-midi, 2004), Ivan Illich (La convivialité, Fayard, 2004) ou Gunther Anders (L’Obsolescence de l’homme, Encyclopédie des nuisances, 2001), il n’y a pas une "bonne" recherche qui serait "mal" utilisée. Il y a une recherche, et il importe que l’humanité décide si oui ou non elle est prête à en assumer toutes les conséquences possibles.
Mais, au CEA, on ne lit ni Ellul, ni Illich, ni Anders...En revanche, on affirme que "les biotechnologies sont développées pour le bien de l’humanité".
Le bien de l’humanité, ce serait peut-être réaliser que deux français sur trois meurent du cancer, dont 80 à 90 % résultent de la dégradation de notre environnement. (Le Monde, 14/02/04 ; Ces maladies créées par l’Homme, D. Belpomme, Albin Michel, 2004 ; La société cancérigène, G. Barbier et A. Farrachi, La Martinière, 2004). Les bio et nanotechnologies seront sans doute très utiles pour créer des "mini-pompes à insuline", des "mini-caméras pilules", des implants oculaires et auditifs, et autres prothèses palliatives. Mais pourrait-on plutôt s’attaquer à la source de nos maux : les rejets chimiques et radioactifs dans l’Isère, ceux de CFC, de dioxines des incinérateurs qui pullulent en Rhône-Alpes, les pesticides, les additifs agro-alimentaires ? Ce serait sans doute trop demander. Pourquoi s’attaquer aux causes des pollutions et des maladies, quand le remède aux effets et la production de substituts dopent la croissance économique ?
3 - Biodéfense, la biofuite en avant
"pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gêne occasionnée". (Livre bleu, propositions des industries électroniques et numériques, GIXEL, juillet 2004)
Sommes-nous les seuls à être effrayés par les nouvelles armes biologiques que rendent possibles bio et nanotechnologies ? Pas si sûr. Le bioterrorisme constitue une préoccupation croissante des autorités occidentales. En France, "Depuis 1996, les fonds gouvernements [sic] dédiés à la recherche contre les armes biologiques ne cessent d’augmenter. Le budget français est encore faible [3 millions d’euros] mais il devrait tripler l’année prochaine." (L’Usine Nouvelle, octobre 2001) Aux Etats-Unis, 3,5 milliards de dollars ont été dépensés en 2003 pour la lutte contre le bioterrorisme.
C’est que les ’’bioarmes’’ semblent particulièrement adaptées aux actions terroristes. Alors qu’une bombe nucléaire nécessite de grosses infrastructures et des budgets colossaux, les armes biologiques sont les "armes du pauvre." (Le Monde, 11/09/2002). "Il est possible de monter un laboratoire biologique de pointe et de le rendre opérationnel avec 10 000 dollars d’équipements achetés dans le commerce, le tout abrité dans une pièce de 4 m sur 5." (Jeremy Rifkin, Le Monde, 06/10/2001). Or "un petit laboratoire sommairement équipé pourrait suffire à confectionner de manière artisanale et très discrète une arme biologique efficace" (Que sais-je ? Les armes biologiques, Patrice Binder, Olivier Lepick, PUF, 2001). En 1999, le Pentagone lance le programme "Bacchus". Objectif : vérifier la faisabilité de construire une petite usine d’armes biologiques à partir de matériels disponibles dans le commerce. Résultat concluant. (Dominique Leglu, ibid.)
Or, une fois le virus ou la toxine ’’militarisés’’ (c’est-à-dire rendus efficaces), il suffit d’une bouche d’aération, et c’est l’hécatombe." Un attentat bioterroriste peut [également] avoir pour vecteur un moyen de transport (avion, métro, bus...), le réseau d’eau potable, des produits alimentaires, ou encore le circuit postal. Bref, la vulnérabilité est totale." (Le Monde, 03/03/05)
Les parades ? Le plan BIOTOX, activé par le gouvernement français depuis octobre 2001, donne le ton. Ses objectifs : "renforcement de la détection des attaques, de la décontamination et de la production d’antidotes." (L’usine nouvelle, oct 2001) Ce n’est pas pour rien que "la production d’antidotes" est le dernier de la liste. Face à un virus OGM de type inconnu, il n’existera pas d’antidotes. Ni de vaccins. "Les experts estiment qu’il faut trois à quatre ans pour militariser un agent infectieux de virulence augmentée ou résistant au traitement, alors qu’il faut dix à 15 ans pour développer un vaccin efficace autorisé par les agences de médicaments." (Dominique Raymond-Vidal, CRSSA, BIOFUTUR, octobre 2004) De plus, il est impossible de vacciner toute la population sur tous les agents infectieux potentiels du bioterrorisme. Sans compter qu’un vaccin doit être administré plusieurs jours ou semaines avant l’exposition, c’est-à-dire généralement trop tard. En attendant, on peut toujours mettre du chlore (produit cancérigène) dans l’eau potable... "Le programme Biotox a changé le goût de l’eau. Pour neutraliser une éventuelle contamination des réseaux par la Toxine Botulique [la plus mortelle], les distributeurs ont reçu pour consigne d’augmenter la chloration de l’eau à 0,3 mg par litre, pour atteindre 0,1 mg par litre au robinet. (Libération, 11/03/03)
Oublions donc la "production d’antidotes." Restent le "renforcement de la détection des attaques" et la "décontamination". Comme pour les attaques nucléaires, il s’agira de détecter les bioattaques, décréter l’état d’urgence, confiner les populations, décontaminer la zone, compter les survivants... Mais, auparavant, surveiller la population, traquer le terroriste, ficher les opposants politiques, ceux qui, comme l’auteur présumé de l’attentat à l’anthrax aux Etats-Unis, ont un "grief envers la société" (New York Times, 23/06/2002).
Et si certains s’y opposent ? "La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. [...] pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gêne occasionnée". Telle est la proposition du GIXEL , lobby dont fait partie le CEA-Léti de Grenoble (Livre bleu, propositions des industries électroniques et numériques, GIXEL, juillet 2004). On comprend l’intérêt du CEA-Léti pour le tout-sécuritaire. Car, en ce domaine, les nanotechnologies ouvrent des perspectives inimaginables : puces sous-cutanées, nano-caméras, traceurs... Contre les risques générés par le "high tech", produisons davantage de "high tech" ! "La science et la technologie sont devenues les meilleures alliées de la police. Neuro-sciences, imagerie cérébrale, techniques d’identification high tech, armes neutralisantes et non plus mortelles : dans le secret des laboratoires se trame activement l’avenir de la lutte contre la criminalité." (Science et vie, octobre 2002) Reste à définir ce que le mot "criminalité" recouvre...
Les bioarmes rejoignent en cela le lobby nucléaire. En mars 2005, Interpol organise à Lyon une conférence internationale intitulée "Prévenir le bioterrorisme". Le Ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin , présente son projet : créer une base de données internationales sur le modèle de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) qui comporterait "une cartographie des laboratoires sensibles, un réseau d’alerte pour les vols, les disparitions et les transactions suspectes de produits sensibles, ainsi qu’une liste de groupes ou d’individus faisant l’objet d’une vigilance accrue, parce qu’ils ont tenté de s’approprier des agents sensibles." Le ministre de l’intérieur a également "préconisé des efforts de ’sécurisation accrue’ des laboratoires spécialisés dans ce domaine." (Le Monde, 03/03/05).
Mais surveiller la population ne suffira pas. Tôt ou tard, l’attaque bioterroriste peut survenir. Or, sans moyens de détection, une bioattaque est identifiée par l’apparition simultanée de nombreux cas d’une pathologie. La vitesse de contagion peut être telle que chaque heure compte (BIOFUTUR, octobre 2004). Il faut donc détecter l’attaque avant même l’apparition des premiers symptômes chez la population. Problème : les méthodes actuelles (comptage lasers de particules, analyseurs d’air, électrophorèse...) sont peu fiables. Pas de panique, les bionanotechniciens proposent leur "antidote" : les biopuces...
Les biopuces allient microélectronique et biologie. De quelques cm2 seulement, elles sont conçues pour analyser des milliers de séquence d’ADN ou de protéines. On peut s’en servir pour évaluer l’activité de certains gènes, détecter des virus, des mutations génétiques, la présence de pathogènes dans l’eau ou la nourriture. (L’Usine Nouvelle, 10/07/03). Selon Science & Vie de décembre 2001, la Délégation Générale pour l’Armement finance trois sociétés privées -Proteus à Nîmes, Thales Industrial Services, à Arcueil, et Berlin Technologies, à Montigny-le-Bretonneux- pour qu’elles développent en France ce "tout nouveau système de détection d’attaques biologiques [...] Cette biopuce mise au point par la firme américaine Affymetrix, permet de déterminer l’agent pathogène d’un sujet infecté." Notons qu’Affymetrix collabore avec le laboratoire BioMérieux (D. Leglu, opus cité). Mais elle n’est pas seule sur ce marché prometteur. A Grenoble, le CEA et BioMérieux ont leur propre filiale spécialisée dans les biopuces : Apibio, dirigée par Marc Cuzin, ancien de l’INP de Grenoble. Apibio a déjà mis au point des kits d’analyse pour l’agro-alimentaire (détection de bactéries, de salmonelles, d’OGM) et travaille sur des kits adaptés aux domaines industriels et militaires.
C’est qu’il n’y a pas seulement les armes biologiques qu’il va falloir apprendre à détecter. "Des installations industrielles, chimiques ou médicales, des laboratoires pharmaceutiques ou des centres de recherche biologique ont été recensés comme étant des sources de contamination et de toxicité potentielles, à l’instar du site AZF de Toulouse dont l’explosion fit, en septembre 2001, trente morts. Ces installations se multiplient avec l’industrialisation croissante des villes et de leur périphérie. Le danger ne viendrait plus seulement de défaillances dans la sécurité, la manipulation, le stockage ou le transport de ces produits dangereux. Les dites installations peuvent devenir la cible d’actes de malveillance ou d’agressions pour frapper les esprits et atteindre dans leur chair les populations voisines." (Le Monde, 20/12/02) Bonne nouvelle : entre Lyon et Grenoble, ces installations sont légion. Zone chimique de Pont-de-Claix, Rhodia, Atofina, Eurotungstène, le CEA, ST Micro, Soitec, Memscap, etc. avec leurs stocks de gaz liquides, de fluor, de sulfates, leurs consommations d’eau, leurs pollutions et déchets. Est révélateur, à cet égard, le transfert de phosgène de la zone chimique de Toulouse, à celle de Grenoble.
Va-t-on remettre en cause l’industrialisation, la croissance, la ruée vers le "high tech" ? Imaginer la décroissance ? Au contraire. Depuis 2002, le CEA de Grenoble lance le projet "Nanobio", un pôle de 200 à 250 chercheurs pour " répondre aux attentes d’une société de plus en plus préoccupée par deux problèmes majeurs : la santé et la sécurité." Mais, surtout, la sécurité : " préoccupation croissante, elle concerne aussi le champ des biotechnologies, du fait des risques de pollution, de bioterrorisme ou de suivi de traçabilité alimentaire. " A quoi le projet NanoBio entend parer par la mise au point des biopuces : "des capteurs pour détecter [...] la présence d’agents pathogènes (accidentels ou délibérés) dans l’eau, l’air, la chaîne alimentaire." (Le Projet NanoBio. CEA Grenoble-UJF. 20/02/03)
Pourquoi s’attaquer aux rejets de gaz carbonique qui asphyxient Lyon et Grenoble quand des biocapteurs peuvent nous alerter des pics de pollution ? Pourquoi donner du grain à la volaille, de l’herbe au bétail, quand la traçabilité nous permet de savoir de quel animal exactement nous aurons contracté l’encéphalite spongiforme ? Pourquoi supprimer les pesticides de nos champs, l’amiante de nos constructions, le benzène de nos industries, le chlore de nos robinets, les additifs de nos aliments, quand une biopuce nous préviendra en temps réel du développement de nos cancers ?
4 - Grenoble et Lyon, centres de recherche en bioattaque ?
"la montée en puissance du bioterrorisme attire l’attention sur un phénomène tout aussi préoccupant : l’exploitation par certains Etats des progrès de la biologie moléculaire pour créer de nouvelles armes de guerre." (La Recherche, décembre 2001)
Les recherches étatiques sur les armes biologiques ne datent pas d’aujourd’hui. Dans les années 30, le Japon construit "l’unité 731", un centre de recherche qui expérimente des armes biologiques. 150 bâtiments, 3000 scientifiques et techniciens, plusieurs milliers de prisonniers-cobayes. Charbon, peste, choléra... "entre 1932 et 1945, au moins dix mille prisonniers sont morts de ces infections expérimentales ou ont été exécutés après l’expérimentation." Les armes ainsi créées seront utilisées contre la Chine pendant la seconde guerre mondiale. (D. Leglu, opus cité).
Dans les années 40, le Royaume-Uni produit 5 millions de paquets imprégnés de bacille du Charbon, à larguer au-dessus de l’Allemagne. Ce ne sera jamais fait. En revanche, des bombes biologiques seront testées sur l’île de Gruinard, au large de l’Ecosse. Cette île restera contaminée pendant 40 ans. (D. Leglu, ibid.)
Jusqu’en 1992, l’URSS travaillait activement aux armes biologiques. Le complexe militaro-industriel "Biopreparat" regroupait plus de 60 000 personnes autour d’un vaste programme de recherche. Des missiles intercontinentaux chargés de la bacille de la peste et du virus de la variole ont été mis au point. Des souches de charbon transgénique et autres hybrides ont été inventés. En 1979, l’usine militaire de Svlerdosk explose. Un nuage contaminé par la bacille du charbon se répand dans le village voisin. Au moins un millier de morts. (Biosecur, Bioterror, Ken Alibek, 2004)
Qu’en est-il des Etats-Unis ? Dès 1940, le centre de Fort Detrick se consacre aux armes biologiques. Il peut compter sur le savoir-faire des experts japonais de l’unité 731, exfiltrés aux Etats-Unis après la guerre. 5000 bombes remplis du bacille de charbon sont mises au point. De nombreux agents pathogènes sont militarisés : la tularémie, la toxine botulinique, la brucellose, la fièvre Q, la rouille des céréales... Les Etats-Unis sont accusés d’avoir utilisé des bioarmes lors de la guerre de Corée, et de l’avoir prévu pour Cuba. Jusqu’en 1968, l’armée américaine pratique également des "expériences de largage de bactéries inoffensives au-dessus de certaines grandes villes", pour "connaître le comportement et le degré de résistance de leurs agents pathogènes dans des conditions ’normales’ d’emploi."
Coup d’arrêt en 1969 : le président Nixon s’engage à mettre fin aux programmes militaires de Fort Detrick : "Les Etats-Unis limiteront leurs recherches biologiques à des mesures défensives." (Germes, Miller, Engelberg et Broad, Fayard, 2001)
Seulement des mesures défensives ? Il est permis d’en douter. Certains de ces programmes dits de "biodéfense" ont un caractère très "bioffensif". Ainsi, de 1997 à 2000, la CIA lance le projet "Clear Vision". Objectif : recréer et tester une réplique des petites bombes bactériologiques élaborées par l’URSS dans les années 80. Autre exemple : dans les années 90, le Pentagone charge la firme Battelle de créer une version "améliorée" (OGM) du bacille du charbon. Objectif officiel : vérifier l’efficience du vaccin mis au point pour l’armée américaine. (D. Leglu, ibid.)
Pourtant, les Etats-Unis sont signataires du traité international de 1972, ratifié par 143 Etats, interdisant la production, le stockage et l’utilisation d’armes biologiques. Ceci dit, "Le traité comportait de nombreuses lacunes. [...] il n’établissait aucun critère de distinction entre les travaux offensifs et défensifs [...] et n’envisageait pas le moindre mécanisme d’application et de contrôle." (Germes, opus cité) En 2001, ces lacunes ont tenté d’être comblées par un projet de protocole de vérification, élaboré à Genève. Proposition rejetée par Washnington qui "se réserve de protéger son industrie et ses programmes de défense." (Libération, 22/08/2001) De quoi alimenter toutes les suspicions.
Et en France ? Sa position vis-à-vis des armes chimiques a de quoi nous inquiéter. En mars 1988, le premier ministre Jacques Chirac déclarait "que la France se devait d’avoir un stock minimal d’armes chimiques à des fins purement dissuasives." (Le Monde, 11/09/2002) Selon le Monde Diplomatique de décembre 1999, la France effectuait en 1987 des recherches sur les armes chimiques "binaires" : deux produits inoffensifs s’ils sont séparés, mortels s’ils sont mélangés. Recherches stoppées en 1990 semble-t-il (selon Claude Meyer, ex Commandant de l’école de Défense NBC -nucléaire, biologique et chimique- et Alain Jouan, médecin militaire du CRSSA, lors d’un café "Science et guerre" à Lyon). Et les armes biologiques ? En novembre 2002, le Washington Post publie une enquête du FBI affirmant que la France possède des stocks non déclarés du virus de la variole. Une révélation prestement et fermement démentie par les plus hautes autorités françaises. (Libération, 07/11/02)
Ne soyons pas naïfs. Les armes biologiques passionnent l’armée. Comment ne pas être "fasciné par une arme de destruction massive si peu chère comparée aux armes chimiques ou à la bombe atomique" (Germes, opus cité), par ces bio et nanotechnologies capables de créer des armes "ethniques", "incapacitantes" ? Pourquoi s’en priver, au moins à titre dissuasif ? C’est ce que sous-entend le magazine La Recherche de décembre 2001 : "la montée en puissance du bioterrorisme attire l’attention sur un phénomène tout aussi préoccupant : l’exploitation par certains Etats des progrès de la biologie moléculaire pour créer de nouvelles armes de guerre." Puis La recherche fait le lien avec les biocapteurs : " On peut raisonnablement commencer à réfléchir [...] à une puce à ADN capable de reconnaître dans un échantillon donné toutes les séquences connues codant pour des agents pathogènes ; qu’il s’agisse ou non d’un agent génétiquement modifié, le repérage d’une seule séquence à risques suffirait à donner l’alerte. " Autrement dit, les Etats vont créer des capteurs capables de reconnaître les agents pathogènes hybrides qu’ils auront fabriqué... En France, qui d’autre que le laboratoire P4 de Lyon pourrait créer ces "nouvelles armes de guerre" ?
Voire les confier à des groupes défendant nos intérêts. C’est ce qu’affirme Michel-Jean Allary, expert en biochimie du SGDN (Secrétariat général de la défense nationale) : "depuis quelques années, la prolifération chimique et/ou biologique semble évoluer d’une réalité étatique vers une composante terroriste. [...] Cette prolifération est à la portée de groupes organisés. Ils peuvent être soutenus scientifiquement et financièrement par des Etats, cela présente l’avantage pour ces derniers d’être moins décelables." (D. Leglu, opus cité) On se souviendra de la liaison CIA/Ben Laden...
5 - Criminalité scientifique : tolérance zéro
" Vous en savez déjà suffisamment. Moi aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut. Ce qui nous manque, c’est le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conséquences." (Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes, Le serpent à plumes, 1998)
Résumons les éléments rassemblés jusqu’ici :
1. Lyon et Grenoble abritent deux laboratoires vulnérables aux attentats, aux vols, aux accidents, aux fuites de savoir-faire.
2. Lyon et Grenoble sont également le pôle européen de développement des bio et nanotechnologies. Or ces technologies sont duales, elles "servent aussi à faire la guerre".
3. L’armée est présente dans tous ces projets. Officiellement, elle ne s’intéresse qu’aux programmes de "biodéfense". C’est oublier qu’il y a 30 ans, le programme nucléaire offensif se masquait aussi derrière ses applications civiles (Dominique Lorentz, Affaires atomiques, Les arènes, 2001 ; Bruno Barillot, Le complexe nucléaire, CDRPC, 2005). Quand on lit que "les armes biologiques pourraient bien jouer au XXIème siècle le rôle des armes nucléaires au XXe" (Libération, 22/08/2001), comment ne pas imaginer que le même jeu macabre pourrait se rejouer, à notre insu, entre Lyon et Grenoble ?
4. Nos sociétés sont vulnérables aux risques biologiques. L’Etat s’appuie sur cette vulnérabilité pour justifier la course technologique vers le "tout-sécuritaire" (biométrie) ou la "détection des attaques" (biopuces).
Cela se passe ici, chez nous.
Ce sont des ingénieurs, des chercheurs, des techniciens qui habitent près de Lyon ou de Grenoble, qui font leur marché le week-end, ont des enfants, une maison, des loisirs.
Les lecteurs d’Hanna Arendt savent ce qu’est la "banalité du mal". Les auteurs de Germes (opus cité) décrivent Bill Patrick, un spécialiste du programme des armes biologiques de Fort Detrick : "Ses souvenirs, tueries d’animaux, infections d’êtres humains, découvertes de nouveaux instruments de mort, ne le tourmentaient pas. Tout cela, à ses yeux, relevait de l’opiniâtreté militaire, de la dissuasion nécessaire, de la sauvegarde des forces nationales. ’’A l’époque, l’objectif était de résoudre le problème, non d’ergoter sur les ramifications philosophiques de ce que nous étions en train de faire, nous dit-il. Le vendredi, quand nous plaisantions, assis en rond, ce n’était pas pour dire : "Nous avons l’obligation morale de réduire ceci ou cela !" mais : "Comment allons-nous augmenter la concentration ?" On ne reliait jamais notre activité à des gens’’."
Y-a-t-il des Bill Patrick entre Lyon et Grenoble, et combien sont-ils ?
Nous voulons connaître tous les impacts sociaux et environnementaux des bio et nanotechnologies. Nous voulons savoir tout ce qui se trame en notre nom, de Lyon à Grenoble. Existe-t-il des programmes militaires d’armes biologiques menés au P4 de Lyon et au CRSSA de La Tronche ?
Nous voulons que cesse cette course folle dans les bio et nanotechnologies, dont on sait qu’elles sont par essence proliférantes, duales, mortifères. Nous ne voulons plus d’une science orientée par les applications militaires et industrielles. Nous voulons une science orientée par le bien commun.
Nous ne voulons pas entendre parler des arguments du type "si c’est pas nous ce seront les autres", encore moins du chantage à l’emploi. Pour nous, nos enfants et nos petits-enfants, pour nos amis et les enfants de nos amis, nous voulons connaître et que soit connus les risques de toute recherche. Nous ne voulons pas être des cobayes. Nous voulons décider collectivement de ce dont nous avons besoin.
L’ignorance est une des bases du consentement. Plus que jamais, nous avons besoin de radicalité, c’est-à-dire d’aller à la racine des choses. Une démarche indispensable pour mettre à jour ce qui se trame en notre nom, effectuer les changements nécessaires à une vie digne. Cela dépend de chacun de nous, de notre capacité à dépasser la résignation, propager l’information, s’organiser collectivement.
Lyon, 1er octobre 2005
Service Civil Lyonnais
Copyleft
Diffusion massivement encouragée
Service Civil Lyonnais
P.S.
BIBLIOGRAPHIE
- Les armes biologiques, Que sais-je ? Patrice Binder, Olivier Lepick, PUF, 2001
- La menace, bioterrorisme : la guerre à venir, Dominique Leglu, Laffont, 2002
- Germes, les armes biologiques et la nouvelle guerre secrète, Miller, Engelberg et Broad, Fayard, 2001
- La guerre des germes, Ken Alibek, Presses de la cité, 2000
- Le système technicien, Jacques Ellul, Le cherche-midi, 2004
- La convivialité, Ivan Illich, Fayard, 2004
- L’Obsolescence de l’homme, Gunther Anders, Encyclopédie des nuisances, 2001
- Affaires atomiques, Dominique Lorentz, Les arènes, 2001
- Le complexe nucléaire, Bruno Barillot, CDRPC, 2005
- La société cancérigène, G. Barbier et A. Farrachi, La Martinière, 2004
- Ces maladies créées par l’Homme, D. Belpomme, Albin Michel, 2004
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