"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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18 septembre 2006

Non à toutes les décroissances à particule !

Pour l’objection de croissance
Clément homs



« L’une de nos tâches écrit Paul Ariès, consiste à inventer le moyen de formuler [les problèmes] autrement. Il faut apprendre à se protéger des idées qui empêchent de penser. Nous devons pour cela faire un effort constant de correction. Apprenons à nous questionner à partir de nos propres schémas » (p. 78 ) [1]. C’est à cette même invitation que nous voudrions ici nous convier.

Les choix sémantiques de ceux qui accolent au « mot-obus » « décroissance », des particules comme « équitable », « joyeuse », « conviviale » ou « sélective » etc, se trompent-ils sur le sens véritable de ce terme, c’est-à-dire sur la signification bien comprise de l’objection de croissance ? Si non, faut-il encore utiliser le « mot-obus » de « décroissance » ?

Comme le note P. Ariès très justement, l’ensemble de ces particules cherchent à adoucir un terme, ou encore « à nous départager de ceux qui ont trop tendance à oublier les humains et d’abord les plus pauvres ou qui considèrent que la solution serait à la respiritualisation religieuse du monde » (p. 76). Mais n’y a-t-il pas une contradiction fondamentale dans notre « mot-obus » à particule, qui se transforme en piège ? Pour démontrer à la personne qui croit que la décroissance c’est l’inverse de la croissance, qu’elle se trompe, on ajoute une particule positive et l’on pense que le problème de l’incompréhension que suscite a priori notre mot d’ordre est réglé.

En réalité, cette nécessité de mettre des particules au terme de « décroissance » ne vient-elle pas d’une interprétation économiste du terme de « décroissance », comme si celle-ci était l’inverse de la croissance économique, comme si elle était une récession, comme si elle était réductible à une politique économique, voire à une politique de développement. Accoler une particule à ce terme s’est déjà rentrer dans le jeu interprétatif de celui qui perçoit a priori notre mouvement comme promouvant la récession du PIB. Comprenant le terme de « décroissance » dans un sens économiste, donc forcément négatif (rien de pire que l’absence de croissance dans une société de croissance), nos multiples accoleurs de particules rentrent dans l’interprétation apriorique et cherchent alors à adoucir un terme qu’ils ne contribuent qu’à comprendre que faussement. En s’adaptant à la réaction suscitée par le mot-d’ordre, l’on va même jusqu’à partager (inconscienment ?) l’interprétation économiste du mot-ordre. Ainsi, paradoxalement, P. Ariès, qui semble pourtant avoir totalement saisi l’anti-économisme sans concession de l’objection de croissance, nous semble faire cette même erreur lorsqu’il écrit cette ligne qui nous semble des plus contradictoires : « Nous savons que la décroissance n’est pas la récession. On ajoutera que si l’idée d’une croissance infinie est une stupidité, celle de décroissance infinie est tout aussi stupide » (p.69). Pourquoi apposer un tel qualificatif quand, comme P. Ariès, on écrit très justement que le mouvement des objecteurs de croissance « abolira la société économique » ? Ainsi ce qualificatif (« infinie ») apposé au terme « décroissance », nous semble manifeste d’une interprétation quantitativiste (« infinie »), objectiviste, donc économiste de ce terme. Comme si la décroissance pouvait se mouvoir au sein de la raison calculante. Comme toutes autres particules (équitable, conviviale, sélective...), l’on reste là dans une conception économiste de la décroissance perçue encore comme l’inverse de la croissance économique. On oppose la croissance infinie à la décroissance infinie et on lui préfère alors une décroissance économique plus soft, « équitable » ou « sélective ». Cette contradiction paradoxale, nous semble également manifeste dans cette autre phrase de l’ouvrage de P. Ariès, où finalement il refuse l’abandon du terme « décroissance ». Les raisons de ce refus sont des plus éclairantes sur la tromperie de notre auteur : « Peut-être un jour faudra-il changer de registre de vocabulaire. Soit que nos mots seront usés soit que notre pensée aura évolué. Il faudra bien un jour dépasser la contradiction de la croissance et de la décroissance pour penser un autre type de société » (p.74). Et bien justement avons nous envie de lui répondre, et pas seulement « un jour » mais ici et maintenant. Cette phrase montre encore une fois, que le mot d’ordre de « décroissance » est ici interprété dans un sens économiste, car on ne le définit en creux que par rapport à son opposition à la croissance.

Comme l’écrit encore ce même auteur sans que l’on sache clairement la radicalité des leçons qu’il en tire, « la décroissance est tout sauf un autre modèle économique » (p.77), ce qui correspond en effet à la définition bien comprise de l’objection de croissance. On ne comprend pas trop alors cette contradiction permanente, entre interprétation anti-économiciste et interprétation économiciste du terme « décroissance », chez un auteur qui dans un ouvrage fort intéressant car portant à polémique, se fait le théoricien du concept de « décroissance équitable ».

Il ne peut pas y avoir de « décroissance équitable » comme de « décroissance infinie », il faut abandonner ce « mot-obus », car finalement on perd totalement de vue la critique radicale de l’économisme. Justifier son utilisation comme slogan par le seul fait qu’il faut bien « des mots pour oser se révolter » (p.74), n’est qu’une conception instrumentale, alors que l’objection de croissance est bien une conception théorique dirigée contre toute forme d’économisme. En posant comme le fait P. Ariès (p.73-80), le cadre du débat sur le choix du slogan du mouvement des objecteurs de croissance, en terme d’efficacité instrumentale de celui-ci, on perd le fond théorique, pour faire alors du slogan un simple moyen pour rassembler les foules. En instrumentalisant un slogan vide et creux, la radicalité de la signification bien comprise disparaît et s’évanouit aussitôt, et le slogan s’intègre plus en avant dans la domination du Spectacle. Subrepticement en donnant une particule au terme de décroissance, on montre là que l’on est pas sorti de l’imaginaire économiste. On oppose encore la décroissance à la croissance.

On est là au cœur d’un profond malentendu au sein du mouvement des objecteurs de croissance. En ce sens, la bio-économie reste également tributaire de l’imaginaire de l’économisme comme le pensent P. Ariès et S. Latouche. Finalement beaucoup d’objecteurs de croissance pensent au fond, que la décroissance c’est l’inverse de la croissance économique. Pour réduire notre « empreinte écologique » il suffit de prôner la décroissance économique. C’est ici, l’interprétation fausse et réductrice de l’objection de croissance que fait par exemple Yves Cochet (tickets de rationnements etc) et de nombreux écologistes de partis politiques. Bien entendu cette position en soi est totalement juste, il nous faut réduire nos ponctions en ressources matérielles. Et l’objection de croissance partage cette idée fondamentale de réduire ces ponctions. Mais l’originalité fondatrice de l’objection de croissance, c’est d’essayer de penser cette réduction de la ponction globale en matières premières, en sortant de l’imaginaire de l’économisme, donc en sortant de l’idée même de « décroissance économique », simple inverse de la croissance économique. C’est cela le défi de l’objection de croissance. Comme l’écrit très justement Alain Claude Galtié [2]« moins de ceci, moins de cela... C’est beaucoup mieux que l’assujettissement et la résignation. Néanmoins, c’est très insuffisant car la diminution des quantités consommées et produites ne peut, seule, changer la logique du système. Même à faibles doses, les facteurs de destruction restent nuisibles. Avec la décroissance affirmée en opposition à la croissance, on reste dans l’esprit matérialiste mécaniste et la schématisation linéaire où tout est résumé au quantitatif, décomposé en éléments, espaces, domaines, processus distincts ; les événements arrivant les uns après les autres dans l’ordre de la cause et de l’effet. On ne sort pas de l’économisme limité caractéristique de la culture impérialiste. Faire décroître la production et la consommation suffira-t-il à relancer les dynamiques sociales et écologiques ? Cela n’est pas aussi simple. » Le terme de décroissance est alors facilement récupéré par des interprétations économistes, qui veulent (en suivant Georgescu-Roegen) la décroissance matérielle sans abolir la société économique. Comme par exemple pour Jean Matouk qui préfère une croissance zéro, Christian Jacquiau qui prône une croissance décélérée, ou encore Vincent Cheynet pour qui la société de croissance « n’est pas entièrement négative ». Ces interprétations ont alors tendance à verser dans la gestion, l’aménagement et la simple réforme de la société de croissance (le capitalisme à visage humain), donc en posant la question de la transformation sociale dans le champs traditionnel du politique (Etat-Nation, Loi, Droit, etc) [3]

S. Latouche n’utilise guère le mot d’ordre « décroissance » pour se faire comprendre, car en effet même de nombreux objecteurs de croissance tombent dans le panneau de l’interprétation économiste de ce terme. Désormais cet auteur préfère parler d’ « a-croissance » (comme l’on parle d’a-théisme) et éviter le terme de décroissance qui prête beaucoup trop à confusion. La question n’est pas celle de la dichotomie entre croissance économique et décroissance économique. La question est celle de sortir de l’imaginaire de l’économisme, de sortir de l’Economie en la remettant à sa juste place. Si l’on peut concevoir dans une société prônant l’objection de croissance, une décroissance économique de l’économie, il faut toujours avoir en tête que cette économie là n’existe plus comme elle existerait au travers de l’imaginaire de l’économisme. C’est une économie « réenchassée » dans le social et dans la vie de la praxis, une économie qui s’évanouit dans la mise à bas du « monde de l’image autonomisée » comme dit Debord. L’objet « économie » disparaît alors, n’existe plus en soi, de façon autonome, c’est-à-dire au-dessus de l’ensemble des réalités réelles et leur dictant ses lois suprêmes. La décroissance économique ne peut se comprendre et exister que dans le cadre de cette disparition de l’autonomie de l’économique, cette « sortie de l’Economie ».

Alors, à quoi bon continuer à apposer des particules adoucissantes à un terme totalement inconsistant dans le cadre de la disparition de l’autonomie de l’économique ? Osons même une petite provocation ouvrant sur la signification bien comprise de l’objection de croissance. Dans le cadre de la disparition de l’autonomie de l’économique, la décroissance n’existe pas, pas plus que la décroissance « équitable », « joyeuse », « conviviale » ou « sélective », etc. L’objection de croissance économique est aussi une objection à la décroissance économique ! Les objecteurs de croissance sont alors également des empêcheurs d’accoler en rond !

[1] L’ensemble des citations de P. Ariès dont les références pagines figurent entre parenthèses, sont tirées de son ouvrage intéressant, car ouvrant au débat, Décroissance ou barbarie, Golias, 2005.

[2] Voir l’article d’Alain Claude Galtié, « La décroissance ? Dans quel contexte ? ».

[3] On peut lire une critique de ces orientations étatistes et protectionnistes, dans l’article de Catherine Tarral, « François Partant et la décroissance » ; cf. aussi, Jacques Ellul, L’illusion politique, La Table ronde, 2004.


Altermonde-levillage

17 septembre 2006

Le vrai Nicolas Sarkozy

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