"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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29 juin 2006

LE 1000e VISITEUR

Resistanz974 voit arriver sa 1000e visite.Merci a vous.
Vous etes le 1000e (
voir compteur dans le pavé de droite en bas), faites vous connaitre en m'envoyant un mail avec vos coordonnées (et une copie d'ecran affichant le compteur si vous savez faire ca :) ) et vous recevrez l'indispensable compil dub de radiololo.

27 juin 2006

Économie : le salariat & ses conséquences

Économie : le salariat & ses conséquences


"Usines à la campagne", "small is beautiful", "P.M.E. à visage humain", durant les dernières décennies, les promoteurs du libéralisme nous affirmaient que le monde économique serait composé de petites unités décentralisées et conviviales. Mensonge et imposture, nous sommes en fait dans une étape historique qui est le contraire des discours lénifiants. Nous sommes entrés dans une période d'accélération des fusions, des rachats, des absorptions. Les mêmes promoteurs du libéralisme qualifient cela de globalisation nécessaire pour faire face à la compétition économique internationale. Cette globalisation est largement entamée pour la construction et le transport aérien, l'industrie pharmaceutique, l'informatique, les produits bancaires ... et demain, même chose pour l'automobile, les télécommunications... etc. Le capitalisme est en train de constituer des conglomérats universels qui n'ont rien à envier aux anciens combinats des temps anciens du capitalisme sauvage ou d'Etat La compétition va être féroce. Que pèseront les fournisseurs de travail, c'est-à-dire les salariés? Peu de chose, ou plus exactement un paramètre, une pesanteur, une contrainte financière froidement banalisée.

Pour eux, le salaire pèse peu ; pour nous, il reste la condition de notre subsistance. Pour nous, il est la condition de notre nourriture et de notre repos, pour eux, il est un handicap potentiel pour leurs bénéfices et leurs parts de marché.

Quelle vie voulons-nous ? Si nous espérons préparer une lutte finale pour un autre futur, il est indispensable de prendre au préalable le temps de regarder, d'analyser ce monde que l'on nous impose. Comprendre le salariat, servitude volontaire des temps modernes, est une première condition pour construire une véritable alternative.

L'évolution de la productivité s'est accompagnée de mutations socioprofessionnelles. Des anciens métiers ont disparu, d'autres apparaissent, ce qui est logique.

Mais, si les emplois sont différents, cela correspond aussi à une tendance à la marchandisation : des sphères d'activités humaines qui échappaient autrefois aux phénomènes des marchés et des prix et où prédominaient gratuité et bénévolat rentrent dans le circuit économique. Ainsi, la culture, le sport ou le syndicalisme institutionnel et les associations de- viennent des "gisements d'emploi" à part entière.

D'autres secteurs dont le développement accompagne le système, comme la "sécurité" ou le tourisme sexuel, brassent des chiffres d'affaire de plus en plus importants. Ce système continue donc de créer, voire d'inventer, des emplois ; cela nourrit le mécanisme de la création de marchés internes qui ouvre le champ de la consommation en échange de ces emplois. Cela évite une trop grande contraction de la demande, qui, si elle restait basée sur les revenus salariaux issus de la production de biens matériels, serait trop faible pour une offre de plus en plus massive.

Cette évolution préserve, tant que faire se peut les principales caractéristiques de notre mode le production ; à savoir que l'individu reste l'outil d'un développement économique qu'il ne choisit pas. Quels que soient les termes employés par les sociologues (travail, emploi, entreprise individuelle...), le lien social qui relie l'individu au système va conserver les principales caractéristiques du salariat.

Caractéristiques du salariat

Le salariat ne se définit pas par l'existence d'une feuille de salaire. C'est avant tout un contrat qui lie le salarié à son patron. La jurisprudence le désigne comme "une convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération".

Il existe donc bien deux parties qui vont rassembler deux groupes sociaux bien distincts par rapport à ce contrat :- Le premier groupe peut octroyer du travail et un revenu. Ce groupe détient les moyens de production (technologie...), de distribution (infrastructures économiques, transports...) et d'échange (création de masses monétaires...).- Le deuxième groupe rassemble ceux qui n'ont que leur temps ou leur travail à échanger.

II est clair que le premier est dominant sur le deuxième. Les deux groupes sont mis en rapport par un lien économique de domination. Mais ce lien va dépasser le champ économique pour s'exercer au niveau idéologique par des tendances qui vont faire pression sur la société. L'ensemble de ces tendances détermine une idéologie. Cette idéologie obéit actuellement à la logique économique du profit maximum. Cette idéologie dominante est l'idéologie de la soumission. Elle permet le développement actuel du capitalisme, c'est-à-dire l'accumulation de biens et de richesses au profit du groupe dominant. Elle caractérise un mode de production.

Dans ce mode de production, le salariat n'est qu'une convention permettant de déterminer le rapport de production, c'est-à-dire, la part effective de la production qui va revenir au groupe dominé.

Le salariat présente trois piliers sur lesquels s'appuie ce mode de production :

- subordination économique (lien salarial),

- hiérarchies salariales,

- individualisation du contrat de travail : existence de "catégories" différentes, avec des statuts différents (grille des fonctionnaires...), évoluant vers le contrat individuel.

Le rapport des forces entre les deux groupes va modifier quantitativement ces trois piliers. Mais, s'il ne remet par leur existence en cause, ils feront toujours pencher la balance, à la moindre inattention, du côté dominant.

Soumission & flexibilité

Les trois piliers sur lesquels s'est bâti le salariat sont aussi des tendances de l'organisation sociale. A l'échelle de la société, elles s'expriment de la manière suivante :

- dépendance économique (que l'on songe à la situation du RMIste par exemple),

- obéissance sociale (par exemple, pouvoir de la mode sur les enfants...),

- isolement psychologique (déstructuration des individus...).

Cet ensemble de tendances est véhiculé par des vecteurs qui sont les médias, l'éducation nationale... qui reproduisent ces schémas et les favorisent. Ces tendances apparaissent alors comme "normales" aux populations qui vivent suivant des normes imposées par ces trois piliers.

La résultante à tous les niveaux de ces tendances, c'est la soumission comme lien dans l'entreprise et dans la société.

La flexibilité, conséquence de cette soumission (interne à l'entreprise ou externe à celle-ci) est un aménagement du rapport de production, soit, au niveau interne une tendance à l'individualisation du contrat de travail, soit, au niveau externe, une tendance à l'individualisation des conditions de vie (travail, pas travail par épisodes, par tranches de vie...).

Si au coeur du problème du travail il y a l'emploi, c'est parce que le revenu, la condition d'existence de l'individu en dépendent. Si au cœur du problème de l'emploi il y a le salariat, c'est parce que dans celui-ci, il y a le cadre idéologique dans lequel évolue le rapport de production (subordination, hiérarchie, individualisation....).

C'est la conjugaison de ces facteurs qui permet au système d'imposer 'la flexibilité qui est un aménagement du rapport de production en faveur du mode de production. La flexibilité est donc inscrite dans le salariat.

21 juin 2006

URGENT PETITION

Là-bas si j’y suis
ne reprendrait pas en septembre !


Contrairement à ce qu’avait annoncé le nouveau directeur de France Inter, l’émission de Daniel Mermet «Là-bas si j’y suis» ne figurerait pas dans la grille à la rentrée de septembre.

Actuellement programmée à 17 heures avec une excellente audience (500 000 auditeurs) «Là-bas» serait programmée à 15 heures ce qui lui ferait perdre plus de 50% de ses auditeurs, la tranche horaire de 15 heures étant traditionnellement beaucoup moins écoutée quelle que soit la radio considérée.

Là-bas si j’y suis n’est pas une émission neutre et cette relégation n’est pas neutre, surtout au lendemain de mobilisations sociales et au seuil d’une année électorale.

Faut-il rappeler que l’actuel président de Radio France Jean-Paul Cluzel, Inspecteur général des finances, longtemps collaborateur de Jacques Chirac, intime d’Alain Juppé et récemment reconverti au sarkozysme n’a pas fait mystère, dans un entretien au Figaro Magazine, de ses idées « de droite, catholiques et libérales ».

Depuis son arrivée marquée par une brutale reprise en main provoquant le départ de personnalités emblématiques comme Pierre Bouteiller et Jean-Luc Hees, c’est près de 400 000 auditeurs qui ont quitté France Inter en moins de deux ans.

Ainsi avec la campagne pour le référendum sur la constitution européenne du 29 mai 2005 où la tranche «7/9» s’est distinguée par un soutien déchaîné et sans contrepartie au OUI, c’est environ 250 000 auditeurs qui ont quitté l’antenne et ne sont pas revenus. Dans le même temps « Là-bas si j’y suis » gagnait 45 000 nouveaux auditeurs.

Le 2 mai à la surprise générale, Frédéric Schlessinger, un nouveau directeur a été nommé à la tête de la station. Inconnu de France Inter qu’il reconnaît ne pas connaître d’avantage, cet ancien responsable du pôle radio du groupe Lagardère s’empresse de couper quelques têtes parmi les plus chères aux auditeurs. Le dernier en date étant Alain Rey une des voix les plus aimées d’Inter.

Mais n’en doutons pas les auditeurs seront sans doute consolés par l’arrivée de M.O.F. (Marc Olivier Fogiel).

Et tout cela dans quel but ? Sauver France Inter en faisant remonter par tous les moyens le chiffre des sondages d’audience.

Ces chiffres sont éminemment discutables et l’on ne fait pas de la radio avec des chiffres. Or même si l’on accepte d’entrer dans cette logique, pourquoi pénaliser « Là-bas » dont le très bon taux d’audience est un des rares en augmentation alors que plusieurs émissions qui ont perdu des auditeurs sont maintenues ?

Ces incohérences ne peuvent dissimuler une volonté politique et idéologique très claire de casser « Là-bas si j’y suis » avant d’en débarrasser la grille de France Inter.

Nous devons nous opposer vigoureusement à ces manipulations. Financée par la redevance, Radio France est un bien public, « la plus grande école de la République » et l’un des seuls espaces médiatiques en France qui n’ait pas pour but de vendre du temps de cerveau humain disponible aux annonceurs.

Cette relégation ne concerne pas seulement Daniel Mermet et l’équipe de Là-bas, c’est un mépris pour ceux qui depuis des années écoutent cette émission et peuvent simplement s’y faire une image différente du monde « à l’écoute de la différence ».

Mépris aussi et avant tout pour ceux dont les voix, ici et ailleurs, de charniers en chantiers, de souffrances en résistances, seraient encore un peu plus étouffées.
Limoges, le 16 juin 2006 à 21h30
NON
A LA DISPARITION DE
LA-BAS SI J’Y SUIS !
Signez dès maintenant la pétition sur le site !
Signer la pétition Voir les signataires

Vous pouvez découvrir et écouter des centaines d'émissions de Là-bas si j'y suis sur le site non-officiel www.la-bas.org

17 juin 2006

A bas le développement durable ! Vive la décroissance conviviale !

Serge Latouche


"Il n'y a pas le moindre doute que le développement durable est l'un des concepts les plus nuisibles". Nicholas Georgescu-Roegen, (correspondance avec J. Berry, 1991) (1).

On appelle oxymore (ou antinomie) une figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme "l'obscure clarté", chère à Victor Hugo, "qui tombe des étoiles...". Ce procédé inventé par les poètes pour exprimer l'inexprimable est de plus en plus utilisé par les technocrates pour faire croire à l'impossible. Ainsi, une guerre propre, une mondialisation à visage humain, une économie solidaire ou saine, etc. Le développement durable est une telle antinomie.

En 1989, déjà, John Pessey de la Banque mondiale recensait 37 acceptions différentes du concept de "sustainable development" (2). Le seul Rapport Bruntland (World commission 1987) en contiendrait six différentes. François Hatem, qui à la même époque en répertoriait 60, propose de classer les théories principales actuellement disponibles sur le développement durable en deux catégories, "écocentrées" et "anthropocentrées", suivant qu'elles se donnent pour objectif essentiel la protection de la vie en général (et donc de tous les êtres vivants, tout au moins de ceux qui ne sont pas encore condamnés) ou le bien-être de l'homme (3).

Développement durable ou comment faire durer le développement

Il y a donc une divergence apparente sur la signification du soutenable/durable. Pour les uns, le développement soutenable/durable, c'est un développement respectueux de l'environnement. L'accent est alors mis sur la préservation des écosystèmes. Le développement signifie dans ce cas, bien-être et qualité de vie satisfaisants, et on ne s'interroge pas trop sur la compatibilité des deux objectifs, développement et environnement. Cette attitude est assez bien représentée chez les militants associatifs et chez les intellectuels humanistes. La prise en compte des grands équilibres écologiques, doit aller jusqu'à la remise en cause de certains aspects de notre modèle économique de croissance, voire même de notre mode de vie. Cela peut entraîner la nécessité d'inventer un autre paradigme de développement (encore un ! mais lequel ? On n'en sait rien). Pour les autres, l'important est que le développement tel qu'il est puisse durer indéfiniment. Cette position est celle des industriels, de la plupart des politiques et de la quasi-totalité des économistes. A Maurice Strong déclarant le 4 avril 1992 : "Notre modèle de développement, qui conduit à la destruction des ressources naturelles, n'est pas viable. Nous devons en changer", font écho les propos de Georges Bush (senior) : "Notre niveau de vie n'est pas négociable" (4). Dans la même veine, à Kyoto, Clinton déclarait sans prendre de gants : "Je ne signerai rien qui puisse nuire à notre économie" (5). Comme on sait, Bush junior a fait mieux.…

Le développement soutenable est comme l'enfer, il est pavé de bonnes intentions. Les exemples de compatibilité entre développement et environnement qui lui donnent créance ne manquent pas. Evidemment, la prise en compte de l'environnement n'est pas nécessairement contraire aux intérêts individuels et collectifs des agents économiques. Un directeur de la Shell, Jean-Marie Van Engelshoven, peut déclarer : "Le monde industriel devra savoir répondre aux attentes actuelles s'il veut, de façon responsable, continuer à créer dans le futur de la richesse". Jean-Marie Desmarets, le PDG de Total ne disait pas autre chose avant le naufrage de l'Erika et l'explosion de l'usine d'engrais chimique de Toulouse... (6). Avec un certain sens de l'humour, les dirigeants de BP ont décidé que leur sigle ne devait plus se lire "British Petroleum", mais "Beyond Petroleum" (Au delà ou après le pétrole)... (7) La concordance des intérêts bien compris peut, en effet, se réaliser en théorie et en pratique. Il se trouve des industriels convaincus de la compatibilité des intérêts de la nature et de l'économie. Le Business Council for Sustainable Development, composé de 50 chefs de grandes entreprises, regroupés autour de Stephan Schmidheiny, conseiller de Maurice Strong, a publié un manifeste présenté à Rio de Janeiro juste avant l'ouverture de la conférence de 92 : Changer de cap, réconcilier le développement de l'entreprise et la protection de l'environnement. "En tant que dirigeants d'entreprise, proclame le manifeste, nous adhérons au concept de développement durable, celui qui permettra de répondre aux besoins de l'humanité sans compromettre les chances des générations futures" (8).

Tel est bien, en effet, le pari du développement durable. Un industriel américain exprime la chose de façon beaucoup plus simple : "Nous voulons que survivent à la fois la couche d'ozone et l'industrie américaine".

Le développement toxique

Il vaut la peine d'y regarder de plus près en revenant aux concepts pour voir si le défi peut encore être relevé. La définition du développement durable telle qu'elle figure dans le rapport Brundtland ne prend en compte que la durabilité. Il s'agit, en effet, d'un "processus de changement par lequel l'exploitation des ressources, l'orientation des investissements, les changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur des besoins des hommes". Il ne faut pas se leurrer pour autant. Ce n'est pas l'environnement qu'il s'agit de préserver pour les décideurs – certains entrepreneurs écologistes parlent même de "capital soutenable", le comble de l'oxymore ! - mais avant tout le développement (9). Là réside le piège. Le problème avec le développement soutenable n'est pas tant avec le mot soutenable qui est plutôt une belle expression qu'avec le concept de développement qui est carrément un "mot toxique". En effet, le soutenable signifie que l'activité humaine ne doit pas créer un niveau de pollution supérieur à la capacité de régénération de l'environnement. Cela n'est que l'application du principe de responsabilité du philosophe Hans Jonas : "Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la terre".

Toutefois, la signification historique et pratique du développement, liée au programme de la modernité, est fondamentalement contraire à la durabilité ainsi conçue. On peut définir le développement comme une entreprise visant à transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Il s'agit d'exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des ressources naturelles et humaines. La main invisible et l'équilibre des intérêts nous garantissent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Pourquoi se faire du souci ? La plupart des économistes qu'ils soient libéraux ou marxistes sont en faveur d'une conception qui permette au développement économique de perdurer. Ainsi l'économiste marxiste, Gérard d'Estanne de Bernis déclare : "On ne fera pas ici de sémantique, on ne se demandera pas non plus si l'adjectif "durable" (soutenable) apporte quoi que ce soit aux définitions classiques du développement, tenons compte de l'air du temps et parlons comme tout le monde. (...) Bien entendu, durable ne renvoie pas à long, mais à irréversible. En ce sens, quel que soit l'intérêt des expériences passées en revue, le fait est que le processus de développement de pays comme l'Algérie, le Brésil, la Corée du Sud, l'Inde ou le Mexique ne s'est pas avéré "durable"(soutenable) : les contradictions non maîtrisées ont balayé les résultats des efforts accomplis, et conduit à la régression" (10). Effectivement, le développement étant défini par Rostow comme "self-sustaining growth" (croissance auto-soutenable), l'adjonction de l'adjectif durable ou soutenable à développement est inutile et constitue un pléonasme. C'est encore plus flagrant avec la définition de Mesarovic et Pestel (11). Pour eux, c'est la croissance homogène, mécanique et quantitative qui est insoutenable, mais une croissance "organique" définie par l'interaction des éléments sur la totalité est un objectif supportable. Or historiquement, cette définition biologique, est précisément celle du développement ! Les subtilités d'Herman Daly, tentant de définir un développement avec une croissance nulle ne sont tenables, ni en théorie, ni en pratique (12). Comme le note Nicholas Georgescu-Roegen : "Le développement durable ne peut en aucun cas être séparé de la croissance économique.(...) En vérité, qui a jamais pu penser que le développement n'implique pas nécessairement quelque croissance ? " (13).

Finalement, on peut dire qu'en accolant l'adjectif durable au concept de développement, il est clair qu'il ne s'agit pas vraiment de remettre en question le développement réellement existant, celui qui domine la planète depuis deux siècles, tout au plus songe-t-on à lui adjoindre une composante écologique. Il est plus que douteux que cela suffise à résoudre les problèmes.

La croissance zéro ne suffit pas

En fait, les caractères durable ou soutenable renvoient non au développement "réellement existant" mais à la reproduction. La reproduction durable a régné sur la planète en gros jusqu'au 18e siècle ; il est encore possible de trouver chez les vieillards du tiers-monde des "experts" en reproduction durable. Les artisans et les paysans qui ont conservé une large part de l'héritage des manières ancestrales de faire et de penser vivent le plus souvent en harmonie avec leur environnement ; ce ne sont pas des prédateurs de la nature (14). Au 17e siècle encore, en édictant ses édits sur les forêts, en réglementant les coupes pour assurer la reconstitution des bois, en plantant des chênes que nous admirons toujours pour fournir des mâts de vaisseaux 300 ans plus tard, Colbert se montre un expert en "sustainability". Ce faisant, ces mesures vont à l'encontre de la logique marchande.

Voilà, dira-t-on, du développement durable ; mais alors, il faut le dire de tous ces paysans qui plantaient de nouveaux oliviers et de nouveaux figuiers dont ils ne verraient jamais les fruits, mais en pensant aux générations suivantes, et cela, sans y être tenu par aucun règlement, tout simplement parce que leurs parents, leurs grands-parents et tous ceux qui les avaient précédés avaient fait de même (15). Désormais, même la reproduction durable n'est plus possible. Il faut toute la foi des économistes orthodoxes pour penser que la science de l'avenir résoudra tous les problèmes et que la substituabilité illimitée de la nature par l'artifice est possible. Peut-on vraiment, comme se le demande Mauro Bonaïuti, obtenir le même nombre de pizzas en diminuant toujours la quantité de farine et en augmentant le nombre de fours ou de cuisiniers ? Et même si on peut espérer capter de nouvelles énergies, serait-il raisonnable de construire des "gratte-ciel sans escaliers ni ascenseurs sur la base de la seule espérance qu'un jour nous triompherons de la loi de la gravité ? " (16). Contrairement à l'écologisme réformiste d'un Hermann Daly ou d'un René Passet, l'état stationnaire lui-même et la croissance zéro ne sont ni possibles, (ni souhaitables..). "Nous pouvons recycler les monnaies métalliques usées, mais non les molécules de cuivre dissipées par l'usage" (17). Ce phénomène que Nicholas Georgescu-Roegen a baptisé la "quatrième loi de la thermodynamique", est peut-être discutable en théorie pure, mais pas du point de vue de l'économie concrète. De l'impossibilité qui s'ensuit d'une croissance illimitée ne résulte pas, selon lui, un programme de croissance nulle, mais celui d'une décroissance nécessaire. "Nous ne pouvons, écrit-il, produire des réfrigérateurs, des automobiles ou des avions à réaction "meilleurs et plus grands" sans produire aussi des déchets "meilleurs et plus grands" (18). Bref, le processus économique est de nature entropique.

"Le monde est fini, note Marie-Dominique Perrot, et le traiter, à travers la sacralisation de la croissance, comme indéfiniment exploitable, c'est le condamner à disparaître; on ne peut en effet à la fois invoquer la croissance illimitée et accélérée pour tous et demander à ce que l'on se soucie des générations futures. L'appel à la croissance et la lutte contre la pauvreté sont littéralement parlant des formules magiques tout autant qu'elles sont des mots d'ordre et des mots de passe (partout). C'est l'idée magique du gâteau dont il suffit d'augmenter la taille pour nourrir tout le monde, et qui rend "innommable" la question de la possible réduction des parts de certains" (19).

Notre surcroissance économique dépasse déjà largement la capacité de charge de la terre. Si tous les citoyens du monde consommaient comme les Américains moyens les limites physiques de la planète seraient largement dépassées (20). Si l'on prend comme indice du "poids" environnemental de notre mode de vie "l'empreinte" écologique de celui-ci en superficie terrestre nécessaire on obtient des résultats insoutenables tant du point de vue de l'équité dans les droits de tirage sur la nature que du point de vue de la capacité de régénération de la biosphère. En prenant en comptes, les besoins de matériaux et d'énergie, ceux nécessaires pour absorber déchets et rejets de la production et de la consommation et en y ajoutant l'impact de l'habitat et des infrastructures nécessaires, les chercheurs travaillant pour le World Wide Fund (WWF) ont calculé que l'espace bioproductif par tête de l'humanité était de 1,8 hectare. Un citoyen des Etats-Unis consomme en moyenne 9,6 hectares, un Canadien 7,2, un Européen moyen 4,5. On est donc très loin de l'égalité planétaire et plus encore d'un mode de civilisation durable qui nécessiterait de se limiter à 1,4 hectare, en admettant que la population actuelle reste stable (21).

Sortir de l'économicisme

On peut discuter ces chiffres, mais ils sont malheureusement confirmés par un nombre considérable d'indices (qui ont d'ailleurs servi à les établir). Pour survivre ou durer, il est donc urgent d'organiser la décroissance. Quand on est à Rome et que l'on doit se rendre par le train à Turin, si on s'est embarqué par erreur dans la direction de Naples, il ne suffit pas de ralentir la locomotive, de freiner ou même de stopper, il faut descendre et prendre un autre train dans la direction opposée. Pour sauver la planète et assurer un futur acceptable à nos enfants, il ne faut pas seulement modérer les tendances actuelles, il faut carrément sortir du développement et de l'économicisme comme il faut sortir de l'agriculture productiviste qui en est partie intégrante pour en finir avec les vaches folles et les aberrations transgéniques.

La décroissance devrait être organisée non seulement pour préserver l'environnement mais aussi pour restaurer le minimum de justice sociale sans lequel la planète est condamnée à l'explosion. Survie sociale et survie biologique paraissent ainsi étroitement liées. Les limites du "capital" nature ne posent pas seulement un problème d'équité intergénérationnelle dans le partage des parts disponibles, mais un problème d'équité entre les membres actuellement vivants de l'humanité.

La décroissance ne signifie pas nécessairement un immobilisme conservateur. L'évolution et la croissance lente des sociétés anciennes s'intégraient dans une reproduction élargie bien tempérée, toujours adaptée aux contraintes naturelles. "C'est parce que la société vernaculaire a adapté son mode de vie à son environnement, conclut Edouard Goldsmith, qu'elle est durable, et parce que la société industrielle s'est au contraire efforcée d'adapter son environnement à son mode de vie qu'elle ne peut espérer survivre" (22). Aménager la décroissance signifie, en d'autres termes renoncer à l'imaginaire économique c'est-à-dire à la croyance que plus égale mieux. Le bien et le bonheur peuvent s'accomplir à moindres frais. La plupart des sagesses considèrent que le bonheur se réalise dans la satisfaction d'un nombre judicieusement limité de besoins. Redécouvrir la vraie richesse dans l'épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain peut se réaliser avec sérénité dans la frugalité, la sobriété voire une certaine austérité dans la consommation matérielle. "Une personne heureuse, note Hervé Martin, ne consomme pas d'antidépresseurs, ne consulte pas de psychiatres, ne tente pas de se suicider, ne casse pas les vitrines des magasins, n'achète pas à longueur de journées des objets aussi coûteux qu'inutiles, bref, ne participe que très faiblement à l'activité économique de la société" (23). Une décroissance voulue et bien pensée n'impose aucune limitation dans la dépense des sentiments et la production d'une vie festive, voire dionysiaque.

On peut conclure avec Kate Soper : "Ceux qui plaident pour une consommation moins matérialiste sont souvent présentés comme des ascètes puritains qui cherchent à donner une orientation plus spirituelle aux besoins et aux plaisirs. Mais cette vision est à différents égards trompeuse. On pourrait dire que la consommation moderne ne s'intéresse pas suffisamment aux plaisirs de la chair, n'est pas assez concernée par l'expérience sensorielle, est trop obsédée par toute une série de produits qui filtrent les gratifications sensorielles et érotiques et nous en éloignent. Une bonne partie des biens qui sont considérés comme essentiels pour un niveau de vie élevé sont plus anesthésiants que favorables à l'expérience sensuelle, plus avares que généreux en matière de convivialité, de relations de bon voisinage, de vie non stressée, de silence, d'odeur et de beauté... Une consommation écologique n'impliquerait ni une réduction du niveau de vie, ni une conversion de masse vers l'extra-mondanité, mais bien plutôt une conception différente du niveau de vie lui-même" (24).

NOTES

(1) Cité par Mauro Bonaïuti. La teoria bioeconomica. La "nuova economia" di Nicholas Georgescu Roegen, Carocci, Rome 2001, p. 53.
(2) J. Pezzey, Economic analysis of sustainable growth and sustainable development, World Bank, Environment Department, Working Paper n° 15, 1989.
(3) Christian Comeliau, Développement du développement durable, ou blocages conceptuels ? Tiers-Monde, N° 137, Janvier-mars 1994, pp. 62-63.
(4) Cité par Jean Marie Harribey, L'économie économe, L'harmattan, Paris 1997.
(5) Carla Ravaioli, "Lettera aperta agli economisti. Crescita e crisi ecologica". Manifesto libri 2001, P. 20.
(6) Green magazine, mai 1991. Cet exemple comme les précédents est tiré de Hervé Kempf, L'économie à l'épreuve de l'écologie. Hatier, col. enjeux, Paris 1991, pp. 24/25.
(7) Carla Ravaioli, op.cit. p. 30.
(8) Changer de cap, Dunod, l992, p. ll.
(9) Carla Ravaioli, op. cit. p. 32.
(10) Gérard de Bernis, Développement durable et accumulation, Tiers-Monde, n° l37, p. 96.
(11) Mesarovic et Pestel, Strategie per sopravvivere, Mondadori, Milano 1974.
(12) Une augmentation du revenu (au sens hicksien) sans atteinte au capital naturel permettrait d'affirmer qu'une croissance soutenable est une contradiction dans les termes, pas un développement durable. Voir Gianfranco Bologna et alii, "Italia capace di futuro" WWF-EMI, Bologne 2001, pp. 32 et ss.
(13) NGR 1989 p. 14, cité Bonaïuti, p. 54.
(14) En dépit de la coquetterie que l'on se donne de contester la sagesse des "bons sauvages", celle-ci se fonde tout simplement sur l'expérience. Les "bons sauvages" qui n'ont pas respecté leur écosystème ont disparu au cours des siècles...
(15) Cette observation de Castoriadis rejoint la sagesse millénaire évoquée déjà par Ciceron dans le "de senectute". Le modèle du " développement durable " mettant en oeuvre le principe de responsabilité est donné par un vers cité par Caton : "Il va planter un arbre au profit d'un autre âge". Il le commente ainsi : "De fait, l'agriculteur, si vieux soit-il, à qui l'on demande pour qui il plante, n'hésite pas à répondre : "Pour les dieux immortels, qui veulent que, sans me contenter de recevoir ces biens de mes ancêtres, je les transmette aussi à mes descendants". Cicéron, Caton l'ancien (de la vieillesse), VII-24, Les belles lettres, Paris 1996, p. 96. (16) Bonaïuti Mauro, La "nuova economia" di Nicholas Georgescu-Roegen. ed. Carocci, Roma 2001, pp. 109 et 141.
(17) Ibidem. p. 140.
(18) Op. cit. p. 63.
(19) Marie-Dominique Perrot, Mondialiser le non sens, L'Age d'homme, Lausanne, 2001, p. 23.
(20) On trouvera une bibliographie exhaustive des rapports et livres parus sur le sujet depuis le fameux rapport du Club de Rome, dans Andrea Masullo, "Il pianeta di tutti. Vivere nei limiti perchè la terra abbia un futuro". EMI, Bologne, 1998.
(21) Sous la direction de Gianfranco Bologna, Italia capace di futuro. WWF-EMI, Bologne, 2001, pp. 86-88.
(22) E. Goldsmith, Le défi du XXIe siècle, Le rocher, l994, p.330.
(23) Hervé René Martin, La mondialisation racontée à ceux qui la subissent, Climats, 1999. p. 15.
(24) Kate Soper, Ecologie, nature et responsabilité. Revue du MAUSS n° 17 premier semestre 2001, p. 85.

12 juin 2006

Économie : le salariat & ses conséquences

"Usines à la campagne", "small is beautiful", "P.M.E. à visage humain", durant les dernières décennies, les promoteurs du libéralisme nous affirmaient que le monde économique serait composé de petites unités décentralisées et conviviales. Mensonge et imposture, nous sommes en fait dans une étape historique qui est le contraire des discours lénifiants. Nous sommes entrés dans une période d'accélération des fusions, des rachats, des absorptions. Les mêmes promoteurs du libéralisme qualifient cela de globalisation nécessaire pour faire face à la compétition économique internationale. Cette globalisation est largement entamée pour la construction et le transport aérien, l'industrie pharmaceutique, l'informatique, les produits bancaires ... et demain, même chose pour l'automobile, les télécommunications... etc. Le capitalisme est en train de constituer des conglomérats universels qui n'ont rien à envier aux anciens combinats des temps anciens du capitalisme sauvage ou d'Etat La compétition va être féroce. Que pèseront les fournisseurs de travail, c'est-à-dire les salariés, c'est-à-dire nous ? Peu de chose, ou plus exactement un paramètre, une pesanteur, une contrainte financière froidement banalisée.

Pour eux, le salaire pèse peu ; pour nous, il reste la condition de notre subsistance. Pour nous, il est la condition de notre nourriture et de notre repos, pour eux, il est un handicap potentiel pour leurs bénéfices et leurs parts de marché.

Quelle vie voulons-nous ? Si nous espérons préparer une lutte finale pour un autre futur, il est indispensable de prendre au préalable le temps de regarder, d'analyser ce monde que l'on nous impose. Comprendre le salariat, servitude volontaire des temps modernes, est une première condition pour construire une véritable alternative.

L'évolution de la productivité s'est accompagnée de mutations socioprofessionnelles. Des anciens métiers ont disparu, d'autres apparaissent, ce qui est logique.

Mais, si les emplois sont différents, cela correspond aussi à une tendance à la marchandisation : des sphères d'activités humaines qui échappaient autrefois aux phénomènes des marchés et des prix et où prédominaient gratuité et bénévolat rentrent dans le circuit économique. Ainsi, la culture, le sport ou le syndicalisme institutionnel et les associations de- viennent des "gisements d'emploi" à part entière.

D'autres secteurs dont le développement accompagne le système, comme la "sécurité" ou le tourisme sexuel, brassent des chiffres d'affaire de plus en plus importants. Ce système continue donc de créer, voire d'inventer, des emplois ; cela nourrit le mécanisme de la création de marchés internes qui ouvre le champ de la consommation en échange de ces emplois. Cela évite une trop grande contraction de la demande, qui, si elle restait basée sur les revenus salariaux issus de la production de biens matériels, serait trop faible pour une offre de plus en plus massive.

Cette évolution préserve, tant que faire se peut les principales caractéristiques de notre mode le production ; à savoir que l'individu reste l'outil d'un développement économique qu'il ne choisit pas. Quels que soient les termes employés par les sociologues (travail, emploi, entreprise individuelle...), le lien social qui relie l'individu au système va conserver les principales caractéristiques du salariat.
Caractéristiques du salariat

Le salariat ne se définit pas par l'existence d'une feuille de salaire. C'est avant tout un contrat qui lie le salarié à son patron. La jurisprudence le désigne comme "une convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération".

Il existe donc bien deux parties qui vont rassembler deux groupes sociaux bien distincts par rapport à ce contrat :- Le premier groupe peut octroyer du travail et un revenu. Ce groupe détient les moyens de production (technologie...), de distribution (infrastructures économiques, transports...) et d'échange (création de masses monétaires...).- Le deuxième groupe rassemble ceux qui n'ont que leur temps ou leur travail à échanger.

II est clair que le premier est dominant sur le deuxième. Les deux groupes sont mis en rapport par un lien économique de domination. Mais ce lien va dépasser le champ économique pour s'exercer au niveau idéologique par des tendances qui vont faire pression sur la société. L'ensemble de ces tendances détermine une idéologie. Cette idéologie obéit actuellement à la logique économique du profit maximum. Cette idéologie dominante est l'idéologie de la soumission. Elle permet le développement actuel du capitalisme, c'est-à-dire l'accumulation de biens et de richesses au profit du groupe dominant. Elle caractérise un mode de production.

Dans ce mode de production, le salariat n'est qu'une convention permettant de déterminer le rapport de production, c'est-à-dire, la part effective de la production qui va revenir au groupe dominé.

Le salariat présente trois piliers sur lesquels s'appuie ce mode de production :

- subordination économique (lien salarial),

- hiérarchies salariales,

- individualisation du contrat de travail : existence de "catégories" différentes, avec des statuts différents (grille des fonctionnaires...), évoluant vers le contrat individuel.

Le rapport des forces entre les deux groupes va modifier quantitativement ces trois piliers. Mais, s'il ne remet par leur existence en cause, ils feront toujours pencher la balance, à la moindre inattention, du côté dominant.

Soumission & flexibilité

Les trois piliers sur lesquels s'est bâti le salariat sont aussi des tendances de l'organisation sociale. A l'échelle de la société, elles s'expriment de la manière suivante :

- dépendance économique (que l'on songe à la situation du RMIste par exemple),

- obéissance sociale (par exemple, pouvoir de la mode sur les enfants...),

- isolement psychologique (déstructuration des individus...).
Cet ensemble de tendances est véhiculé par des vecteurs qui sont les médias, l'éducation nationale... qui reproduisent ces schémas et les favorisent. Ces tendances apparaissent alors comme "normales" aux populations qui vivent suivant des normes imposées par ces trois piliers.

La résultante à tous les niveaux de ces tendances, c'est la soumission comme lien dans l'entreprise et dans la société.

La flexibilité, conséquence de cette soumission (interne à l'entreprise ou externe à celle-ci) est un aménagement du rapport de production, soit, au niveau interne une tendance à l'individualisation du contrat de travail, soit, au niveau externe, une tendance à l'individualisation des conditions de vie (travail, pas travail par épisodes, par tranches de vie...).

Si au coeur du problème du travail il y a l'emploi, c'est parce que le revenu, la condition d'existence de l'individu en dépendent. Si au cœur du problème de l'emploi il y a le salariat, c'est parce que dans celui-ci, il y a le cadre idéologique dans lequel évolue le rapport de production (subordination, hiérarchie, individualisation....).

C'est la conjugaison de ces facteurs qui permet au système d'imposer 'la flexibilité qui est un aménagement du rapport de production en faveur du mode de production. La flexibilité est donc inscrite dans le salariat.

02 juin 2006

Sauver l’Internet

Le principe de la "neutralité d’Internet" vient d’être débattu à la Chambre des représentants américains. Au premier abord, ce débat semble ne concerner que les spécialistes en Informatique, les Geeks. C’est pourtant un sujet crucial pour l’avenir du Net et les droits des internautes. L’Internet, sa richesse, sa souplesse pourraient être compromises si les Etats-Unies venaient à abandonner son "principe de neutralité".

En France, le débat sur le droit d’auteur est passé. Aux États-Unis, le débat se situe à un autre niveau, Les Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) souhaitent pouvoir facturer aux éditeurs de contenus le privilège d’un accès plus ou moins rapide à leur site. Le principe de neutralité du réseau à l’origine d’Internet est brisé. Pour écarter cette éventualité, les députés américains ont proposé au Congrès une loi dans laquelle figure le principe de la neutralité. 3M, Cisco Systems, Corning et Qualcomm, sont des détracteurs de cette loi. À l’inverse, Amazon, Google, Microsoft ou encore Yahoo ont appuyé le texte. C’est une véritable bataille de lobbying. Une multitude d’organisations se sont rassemblées sous le nom SavetheInternet.com, pour demander la loi la plus stricte possible afin de garantir la neutralité du réseau. Des personnalités aussi diverses que Moby, Tim Bernes-Lee ou Laurence Lessig, se sont également manifesté.

Le projet de loi proposé afin de garantir la neutralité d’Internet a été rejeté à 34 voix contre 22. Il est fort probable que le Sénat ne réintroduira pas cette proposition d’amendement. Tout n’est pas perdu pour autant, car 2006 est une année électorale aux Etats-Unis, et même si la loi sur les télécommunications était votée avant l’automne, il resterait au Président Bush à la ratifier.

Si la neutralité de l’Internet n’est pas garantit, la musique indépendante et les sites d’informations alternatives seraient ghettoisés, le choix des consommateurs limité et la concentration des médias accéléré. Ainsi, l’Internet deviendra une autoroute privée à péage contrôlée aux enchères par des sociétés comme AT&T.
L’Internet tel que nous le connaissons est en train de se fragmenter.

L’Internet tel que nous le connaisson aujourd’hui est constitué d’un réseau unique accessible par n’importe qui et de n’importe où. Quiconque peut créer un site Web qui pourra être visité par n’importe quel internaute, et ce quelque soit le pays d’origine de l’éditeur ou du lecteur. Malheureusement, tout ceci est en passe de changer.

La neutralité du réseau, c’est-à-dire le fait qu’Internet est un réseau unique et interconnecté, sans aucune préférence pour une de ses parties par rapport à une autre, est un principe en danger. L’Arabie saoudite, par exemple, bloque les contenus qui vont à l’encontre de son interprétation de l’Islam. La Chine empêche ses citoyens d’accéder à certains sites. Ces politiques nationales conduisent à la fragmentation de l’Internet. Le réseau unique auquel nous sommes habitués est en passe de se transformer en multiples réseaux. Être connecté en Chine n’est déjà plus la même chose qu’être connecté en France.

Les multinationales risque d’accélérer ce processus en concevant puis en produisant les routeurs et les algorithmes utilisés par certains gouvernements pour filtrer Internet. Certaines de ces grandes firmes ont d’ores et déjà admis qu’elles étaient prêtes à travailler dans un monde où il y aurait plusieurs réseaux au lieu d’un seul et unique. Prenons l’exemple de Google. Parce son moteur de recherche est fréquemment bloqué par les pare-feux chinois, cette entreprise a créé un moteur de recherche censuré pour ses clients chinois. Cette entreprise a estimé qu’il valait mieux participer à la censure dans ce pays plutôt que de perdre des parts de marché. Toutefois, les régimes répressifs ne sont pas les seuls à essayer de fractionner l’Internet.

Les clients du cable opérateur Shaw se sont par exemple aperçus que Vonage fonctionnait très lentement sur leur Réseau. Shaw a en effet récemment averti que les utilisateurs de tous les services de téléphonie Internet pourraient rencontrer des problèmes de connexion, à moins qu’ils acceptent de payer 10 dollars par mois en frais d’amélioration. On comprend mieux cette décision si l’on sait que Shaw propose un service concurrent de téléphonie numérique. De même, les opérateurs téléphoniques en Afrique coupent leurs services aux FAI dès que ces derniers permettent à leurs clients d’utiliser la téléphonie par Internet, afin de protéger le marché très lucratif des appels longue-distance.

Le prochain champ de bataille pour la neutralité du réseau sera vraisemblablement la distribution de services vidéos. BellSouth et AT&T ont annoncé leur projet de vendre des services premium qui permettront de distribuer les vidéos de certains fournisseurs plus rapidement que pour d’autres. Par exemple, si une entreprise comme Yahoo ! accepte de payer une certaine somme à AT&T, le temps de chargement de ses vidéos sera plus rapide et elles seront de meilleure qualité que des vidéos proposées par Google, dans l’hypothèse où Google aurait choisi de ne pas payer. Google a certes les moyens de jouer à ce petit jeu, car il se sait incontournable, mais une entreprise plus petite n’en sera pas capable. Ces services premium créent une barrière contre l’innovation dans un espace qui a pourtant été l’un des plus créatifs de l’histoire de l’humanité.

Que va-t-il se passer pour les entreprises dans ce nouveau monde ? Bientôt, il ne sera plus suffisant de savoir si on est connecté à Internet, il faudra aussi savoir où se situent les contenus auxquels on souhaite accéder, et également savoir si le fournisseur d’accès à Internet les considèrent comme étant premium ou sous-classés. Il ne sera plus possible pour une start-up de lancer son site sur Internet en sachant que celui-ci sera accessible de la même manière dans le monde entier. Parallèlement, les entreprises qui existent déjà vont découvrir qu’elles touchent désormais un public bien plus réduit qu’avant. La fragmentation de l’Internet, c’est la fragmentation des marchés.

De la même façon que les internautes chinois se sont habitués au fait qu’ils sont connectés à un réseau qui livre certains contenus rapidement et d’autres pas du tout, les Américains vont découvrir, à leurs dépens, les coûts induits par un réseau non neutre. Mais pour créer leurs services premium, AT&T et BellSouth doivent d’abord obtenir l’accord du Congrès américain. Les entrepreneurs et consommateurs, ainsi que les représentants politiques, doivent réfléchir à deux fois avant de créer un monde où existeraient des réseaux à plusieurs vitesses.