"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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11 février 2007

LA FRANCE DE SARKOZY

LA FRANCE DE SARKOZY

par Bernard Langlois, 10 February 2007

C’est une lettre ouverte qui nous vient des environs de Pau. La signataire s’appelle Damira Asperti, une dame qui n’est plus toute jeune, puisqu’elle fut, à l’âge tendre, déportée à Ravensbruk pour faits de résistance (avec toute sa famille, elle faisait partie de la 35 ème brigade FTP-MOI de Toulouse). Comme elle le dit : « Nous avons bien défendu la terre de France de notre sang et de nos souffrances, alors que nous étions encore Italiens. » Et la France l’a reconnu, puisque Damira est médaillée militaire et chevalier (ou doit-on dire chevalière ?) de la Légion d’honneur.
C’était hier.

Mais aujourd’hui, Damira Asperti, cette vieille dame courageuse, en a gros sur le cœur et a tenu à la faire savoir :
« Vais-je devoir, aujourd’hui, en 2007, alors que ma santé est chancelante, cacher la femme de mon neveu , Aïcha Titonel et sa petite Yousra pour éviter que la police ne les arrête au petit matin, comme on raflait les résistants, les démocrates ou de simples citoyens … Pour empêcher qu’on arrête sa fille à la sortie de l’école et qu’on les conduise en camp de rétention, comme on conduisait les juifs à Drancy et les résistants dans d’autres camps ? Elles n’ont aucun crime, ni délit à se reprocher, Aicha a tout simplement épousé mon neveu par amour et en toute légalité. Vers quelles dérives nous conduisent la loi du 24 juillet 2006, dite loi Sarkozy ? Il est grand temps de réagir, de dire non, pas ça ! Pas dans notre beau pays des droits de l’homme ! Entrez en résistance pour l’honneur de la France et pour ses valeurs républicaines et démocratiques. » (1)
« Entrez en résistance … » Pour Mme Damira Asperti, ce sont des mots lourds de sens.

Trop lourds ? Est-ce bien approprié d’employer de tels mots ? N’y a-t-il pas abus de langage à parler de « rafles », à évoquer Vichy et ses camps, à faire référence, explicite (comme ici Mme Asperti), ou implicite, aux heures noires de l’Occupation, à la déportation des juifs, des résistants ?
On peut le penser. Beaucoup le pensent. Mais comment qualifier, par exemple, l’opération de police du 30 janvier, place de la République à Paris, où les flics se sont postés à proximité d’un point de distribution de vivres des Restos du cœur pour piéger des sans papiers venus chercher un peu de nourriture (une vingtaine ont été embarqués, plus l’auraient été sans une intervention de militants de RESF venus perturber l’opération) ? Quel autre mot employer que celui de « rafle » ? Est-il indécent, vraiment, d’oser des comparaisons ? « Voire. — répond l’ethnologue Emmanuel Terray — Assurément, il existe entre les deux épisodes des différences considérables, et il serait absurde de les nier. Cependant, sitôt qu’on cherche à les cerner de façon précise, il apparaît qu’elles tiennent presque exclusivement au rôle des occupants allemands : terriblement présents et actifs en 1942, ils ont — fort heureusement — disparu en 2006. En revanche, si l’on considère le comportement des autorités françaises, les similitudes sont manifestes. » Et entre autres similitudes, celle des méthodes employées sautent aux yeux : « Dans ce domaine, les analogies résultent de la nature des choses ; la chasse à l’homme, surtout lorsqu’elle est assortie d’objectifs chiffrés, implique l’utilisation d’un certain nombre de techniques : rafles, convocations-pièges, interpellation des enfants dans les écoles, internement administratif. Quelles que soient les populations ciblées, le recours à ces techniques est inéluctable dès lors qu’on prétend à l’efficacité. Il faut d’ailleurs admettre que, sur ce point, le Ministre de l’Intérieur n’a guère innové par rapport à ses prédécesseurs de l’époque de Vichy et de la guerre d’Algérie et la police française n’a eu qu’à puiser dans ses archives pour retrouver les bonnes vieilles méthodes. » (2)

Telle est la France de Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Est-il très difficile d’imaginer ce que serait la France de Sarkozy, président de la République ?

LE CLUB DES NEOS—CONS.
Eh bien ! Elle ne révulse pas un certain nombre d’intellectuels, souvent gauchistes dans leurs vertes années (comme Emmanuel Terray, mais lui est resté un homme debout), qu’on continue à classer à gauche par paresse et qu’on voit aujourd’hui se rallier au candidat bonapartiste.
Il faut lire l’ahurissante profession de foi d’un Glucksmann (3) et les raisons chantournées qu’il donne à son allégeance toute fraîche à l’arriviste de Neuilly, prenant (ou feignant de prendre) pour argent comptant quelques récents discours racoleurs où furent embarqués Jaurès et quelques autres : « En retrouvant dans le discours du candidat Hugo, Jaurès, Mandel, Chaban, Camus, je me sens un peu chez moi. » Bienvenu au club des néos-cons, cher ex-nouveau philosophe, tu y seras en bonne compagnie ! Car il n’est pas le seul à retourner sa veste (à vrai dire, c’est fait depuis longtemps ; mais le manteau de Noé du mitterrandisme permettait de dissimuler bien des ambiguïtés !) : Glucksmann se retrouve en bonne compagnie, avec les Bruckner, Weitzmann et autres admirateurs de la grande démocratie américaine et de ses efforts méritoires pour en répandre les bienfaits en terre barbare, tels qu’Adler, Taguieff ou cet autre (j’ai oublié son nom, mais si, vous voyez bien qui je veux dire : ce polygraphe incontinent, historien du dimanche, ancien chevènementiste, ancien ministre de Mauroy, qui pontifie toutes les semaines chez Meyer sur France-Culture en compagnie d’autres ferrailleurs, Max, c’est ça, Max quelque chose …) ; et l’ineffable Alain Finkielkraut.
Ah, Finkie ! A lui seul, mériterait tout un bouquin !

COUP DE SANG.
Il existe, justement, et n’a pas bonne presse, on s’en doute. Fait pas bon s’en prendre aux intellectuels médiatiques, même quand ils se laissent aller comme de vulgaires Frêche, à compter les noirs du Onze de France.
La position du penseur couché (excellent titre), du confrère et ami Sébastien Fontenelle, est un pamphlet (4). Le genre, ni l’auteur, n’ont vocation à faire dans la nuance. Fontenelle assume : « Ce livre naît d’un coup de sang. De quelques mots de trop d’un homme, intellectuel des médias, dont certains propos haineux, soudain, m’enragent, parce qu’ils ne sont jamais sanctionnés. » Le fait est : Finkielkraut est intouchable. Comme si l’intelligence (indéniable) et la culture (étendue) du bonhomme lui permettait de tout dire en toute impunité. Certes, on le chicane un peu, des fois, gentiment (ce qui, aussitôt, lui permet de poser en victime !), quand il pousse le bouchon un peu loin (comme dans cette interview à Haaretz, dans laquelle, outre la saillie sur les footballeurs « black-black-black », il tenait des propos racistes sur les émeutes en banlieues, « révolte à caractère ethnico-religieux », « pogrom antirépublicain » …) : mais quelques mots de vagues excuses aux micros aimablement tendus et les plaidoyers enflammés de ses (nombreux) amis et commensaux de la presse et des ondes suffisent à lui refaire une virginité. Il peut donc continuer à « briser les tabous » — c’est-à-dire, pour l’essentiel, à dénoncer « l’anti-racisme », « l’anti-américanisme », « l’extrême-gauche antisioniste » et donc, forcément — c’est devenu son (leur) obsession — antisémite (ou mieux : « judéophobe », néologisme qu’on doit à Taguieff).

Comme un chercheur d’or opiniâtre, Fontenelle passe au tamis les nombreux écrits du « philosophe en perdition » et y trouve maintes pépites, que je vous laisse découvrir. Dont l’ahurissante affirmation selon laquelle le vrai danger ne vient pas de l’extrême droite mais de ceux qui la combattent : « L’avenir de la haine est dans leur camp et non dans celui des fidèles de Vichy. » Fermez le ban !

Voilà qui sont les nouveaux grands amis de M. Sarkozy. Qu’il se les garde !
Et que vienne, oui José, le temps de l’insurrection électorale !
B.L.

(1) Apportez vos soutiens et témoignages écrits à Aicha Titonel – Landrevie 47380 Monclar d’Agenais. Signez la pétition « Halte à l’amour emprisonné » du Réseau d’éducation sans frontières 47, 169 avenue Jean Jaurès 47000 ou sur internet sur le site de RESF 47 puis Lot et Garonne (http://www.educationsansfrontieres.org)
(2) Et les similitudes ne s’arrêtent pas aux seules méthodes employées. On trouvera l’argumentation complète de Terray sur le site de RESF, sous le titre : « 1942-2006, réflexions sur un parallèle contesté. »
(3) André Glucskmann, « Pourquoi je choisis Nicolas Sarkozy », Le Monde du 30 janvier.
(4) Sébastien Fontenelle, La position du penseur couché, Répliques à Alain Finkielkraut, Privé, 192 p., 16 euros.

[ Bloc-notes de Politis du 8 février. ]

05 février 2007

Mainmise sur la presse tricolore

Les Français ne connaissent pas la société audiovisuelle ETC (Etudes, techniques et communication). Pourtant, ils ne cessent de voir ses productions à la télévision. C'est cette entreprise, appartenant à l'UMP, le parti de Nicolas Sarkozy, qui filme le candidat Nicolas Sarkozy et qui ensuite vend (ou plus souvent donne) ses reportages aux chaînes de télévision françaises. «Le plus grave, ce n'est pas que Sarkozy organise ses propres reportages, mais que les télévisions acceptent ce procédé car il leur fait économiser de l'argent», proteste un journaliste parisien sous couvert d'anonymat.

Pourquoi se gêner? La société ETC jouit d'une excellente réputation professionnelle, elle offre des images parfaitement maîtrisées, avec des caméras face à la tribune, sur les côtés, et survolant la foule. Nicolas Sarkozy a même organisé le retour de Cécilia, son épouse, au domicile conjugal. Son photographe a pris soin de prendre les clichés à distance afin de faire croire qu'il s'agissait de photos volées par un paparazzi... Rien d'étonnant à cela. Comme le rappelle Frédéric Charpier dans son livre «Nicolas Sarkozy. Enquête sur un homme de pouvoir» (1), l'actuel ministre de l'Intérieur avait imaginé un temps devenir journaliste.

Les journalistes au pain sec

Maire de Neuilly, dans la région parisienne, et président des Hauts-de-Seine, le département le plus riche de France, Nicolas Sarkozy courtise de longue date les patrons de presse, qui sont souvent ses administrés, comme autrefois Robert Hersant, propriétaire du Figaro et de 30% de la presse française, et aujourd'hui Martin Bouygues, le patron de TF1, dont le journal télévisé est regardé par 8 millions de personnes. «Il est non seulement l'ami des patrons de presse, mais il est aussi l'ami des rédacteurs en chef et des chefs des services politiques qu'il appelle tout le temps au téléphone. Sarkozy s'est aussi constitué une cour de sans-grade qui espionnent pour lui à l'intérieur des rédactions, recevant en compensation des informations exclusives ou des promesses de promotion», raconte un enquêteur connu de la presse parisienne.

Le climat est devenu tellement étouffant que ce journaliste demande non seulement que son nom n'apparaisse pas, mais que son journal ne soit pas mentionné non plus. «Je suis contraint de me méfier de mes propres collègues», déplore-t-il. Ministre de l'Intérieur, à la tête de deux services secrets, la DST et les Renseignements généraux (RG), Nicolas Sarkozy est un homme tout-puissant. Alors que ses «amis» journalistes sont abreuvés de scoops sur la délinquance ou sur le terrorisme, les autres rédacteurs se retrouvent au pain sec: les policiers ne leur parlent plus. Pire, ils découvrent que les Renseignements généraux ne font pas seulement des enquêtes sur les collaborateurs de Ségolène Royal, la candidate socialiste, comme Bruno Rebelle, ancien directeur de Greenpeace. Mais qu'à l'occasion, ils s'intéressent aussi à la vie privée des rédacteurs un peu trop à gauche. «Un proche de Sarkozy vous appelle au téléphone et lâche le nom de votre maîtresse, menaçant de le faire savoir à votre épouse si vous ne devenez pas davantage conciliant avec le candidat de l'UMP», s'étrangle un journaliste du Figaro. Un proche de Sarkozy que Karl Laské, journaliste à Libération appelle carrément «le lanceur de boules puantes».

Le livre à charge intitulé «Nicolas Sarkozy ou le destin de Brutus» (2), écrit par plusieurs journalistes parisiens sous le pseudonyme de Victor Noir, s'est vendu à plus de 25 000 exemplaires. Il est réédité en livre de poche.

Sarkozy propulse les ventes

«On montre du doigt le magazine Le Point pour ses 10 couvertures consacrées à Nicolas Sarkozy ces derniers mois. Le problème, c'est que ces 10 couvertures ont bien vendu. Les journalistes qui ne sont pas sarkozystes ne peuvent pas reprocher ce choix journalistique à leur direction», souligne François Malye, président de la Société des rédacteurs du Point.

(1) Frédéric Charpier, «Nicolas Sarkozy. Enquête sur un homme de pouvoir», Editions Presses de la Cité, 304 pages

(2) Victor Noir, «Nicolas Sarkozy ou le destin de Brutus», Editions Denoël, 306 pa


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