"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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24 septembre 2007

Mais de quelles "réformes" la France a-t-elle besoin ?

Mais de quelles "réformes" la France a-t-elle besoin ?

Pour peu que l’on prenne en compte les inégalités, le modèle social français est beaucoup plus profitable à la population que les modèles anglo-saxons. Les "réformes" que l’on voudrait appliquer en France profiteraient surtout aux plus aisés. L’analyse de Jérôme Guillet et John Evans.

Il est bien difficile aujourd’hui de trouver, dans les médias tant nationaux qu’internationaux, un commentaire sur l’économie française où manquent les mentions obligatoires de son déclin, de la faiblesse de la croissance, ou de la persistance d’un chômage de mass, et qui ne présente pas comme une évidence l’urgente nécessite de "réformes". Entre guillemets, "réformes", car ce mot est devenu un nom de code plus ou moins explicite pour un programme à sens unique : libéralisation d’un marché du travail considéré "trop rigide" via l’assouplissement du code du travail, baisse des charges sur les entreprises, affaiblissement du contrôle de l’Etat, et, naturellement, baisse des impôts. Des travailleurs plus flexibles et moins chers seraient plus facilement embauchés, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises et leurs profits, sur le modèle anglais ou américain. Et évidemment les 35 heures tant décriées, cette « aberration économique », doivent être éliminées afin de remettre la France au travail.

Le problème est que ce programme, qui sert bien les intérêts des actionnaires et des dirigeants d’entreprise, se fonde sur une description extrêmement partielle et partiale de la réalité économique.

Le leitmotiv du déclin prend généralement appui sur la croissance plus faible de la France, relativement à celle de pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ces dernières années, et sur la baisse relative de son PIB par tête. Or cette description tronquée de la réalité ne tient pas compte de la distribution des richesses, et de l’augmentation extraordinaire de l’inégalité dans ces économies censées nous servir de modèle. En fait, toute la richesse créée dans ces pays a été captée par une tranche étroite de la population. Les revenus médians sont stagnants, alors que les revenus des 0,1% les plus riches de la population augmentent en flèche, au point d’être passés de 2% à 7% des revenus totaux en moins de vingt ans aux Etats-Unis, selon les chiffres de l’étude de Piketty et Saez.

Part du revenu total qui va aux 0,1 % les plus aisés

"A New Gilded Age" Source : Martin Wolf, Financial Times, 25/04/2006

Ces 5% supplémentaires captés par les plus riches sont équivalents à l’appauvrissement relatif des français (dont le PIB par tête est passé de 78% à 72% de celui des américains sur la période, en moyenne) ce qui veut dire que la croissance économique a été identique en France - pour les 99,9% les moins riches de la population....

PIB par tête rapporté au niveau américain, en % "European corporatism needs to embrace market-led change" Martin Wolf, Financial Times, 24/01/2007

PIB par tête Français en excluant les 0,1 % les plus riches, rapporté au niveau américain, en %

L’accroissement des inégalités se constate également à l’autre bout de l’échelle des revenus, où on note un taux de pauvreté infantile de 7% en France, de 16% au Royaume-Uni (le double de celui en 1979) et de 20% aux Etats-Unis (sans oublier les 15% d’Américains qui n’ont aucune couverture maladie).

% d’enfants pauvres (vivant dans une ménage qui dispose de moins de 50 % du revenu médian).

"An overview of child well-being in rich countries" UNICEF, Innocenti Report Card 7, 2007

Même en appliquant le seuil de pauvreté américain en valeur absolue (selon un calcul légèrement différent du précédent) il y a moins d’enfants pauvres en France (11% contre 14% - sans parler des 29% du Royaume-Uni), malgré un revenu moyen par tête de 30% plus faible.

Chose extraordinaire en temps de paix, les Etats-Unis enregistrent aujourd’hui une augmentation de leur taux de mortalité infantile. Un enfant né dans une famille pauvre de ce pays a aujourd’hui une espérance de vie de 15 ans inférieure à celle d’un enfant né dans une famille aisée.

Il est compréhensible de défendre la liberté des membres les plus dynamiques de la société d’entreprendre et de bénéficier des fruits de leur travail, mais cette liberté accordée sans contrepartie s’accompagne inévitablement de fractures sociales bien plus marquées que celles connues en France. Le choix d’un niveau élevé de solidarité et de redistribution modère les revenus des plus riches, soit, mais, fait moins souvent évoqué, pas ceux des autres. Ainsi, la banque UBS a noté que le revenus de plus élevé des 20 % les plus démunis (le "deuxième décile") a connu une augmentation de son niveau de vie de 7% en France et une baisse de 12% aux Etats-Unis entre 1997 et 2004, et que le revenu le moins élevé des 10 % les plus aisés (le 9e décile) avait connu une augmentation de 12% en France et de 10% aux Etats-Unis. Un Français de revenu modeste ou membre des classes moyennes ou même aisées profite plus de la croissance modérée de l’économie française que son cousin américain ne profite du dynamisme de son pays.

Il semblerait donc que, sur le plan des revenus, les très riches forment le seul groupe qui bénéficie des "réformes". Mais cette conclusion ne fait-elle pas bon marché du chômage dont souffre la France ?

Tout dépend de ce qu’on mesure. Ainsi, parmi les hommes de 25 à 54 ans, 87,6% avaient un emploi en 2004 en France, et 87,3% aux Etats-Unis, selon les chiffres de l’OCDE. Et pourtant le taux de chômage pour cette catégorie était alors de 7,4% en France, et 4,4% aux Etats-Unis. La ligne séparant chômage d’inactivité n’est visiblement pas mise au même endroit dans chaque pays... De même, le chômage des jeunes touche 8,4% des 15-24 ans en France, contre 5,5% au Danemark, 7,6% aux Etats-Unis et 7,5% au Royaume-Uni, donc pas de quoi crier à la faillite du modèle. Certes, le taux de chômage est nettement plus élevé, mais cela reflète essentiellement le fait que la population active est plus étroite dans cette classe d’âge en France, notamment parce que moins de jeunes trouvent nécessaire d’occuper un emploi tout en poursuivant leurs études.

Mais les Français travaillent moins, nous dit-on.

Même pas. Les travailleurs français effectuent 37,4 heures par semaine en moyenne, contre 35,6 heures au Royaume-Uni. Les employés à temps plein travaillent effectivement moins longtemps en France (40,9 heures contre 43,2 heures en 2005), mais le nombre élevé d’emplois à temps partiel baisse la moyenne britannique ; le nombre d’heures totales travaillées dans le deux pays est à peu près équivalent, pour des populations similaires. Dire que les Français travaillent moins est donc tout simplement faux. Par ailleurs, la France a créé autant d’emplois que le Royaume-Uni au cours des 10 dernières années : 2,5 millions. La seule différence est que, au Royaume-Uni, la création de postes a été très régulière, alors qu’en France, la quasi totalité de ces emplois a été créée entre 1997 et 2002, c’est-à-dire précisément au moment de la mise en place des 35 heures, et ce alors que la croissance mondiale a été plus forte ces 5 dernières années.

HSBC-CCF, Questions d’actualité - le Royaume-Uni en 2004

Plus remarquable encore, la France a créé plus d’emplois dans le secteur privé (+10% entre 1996 et 2002, selon l’OCDE) que le Royaume-Uni (+6%) ou les Etats-Unis (+5%). En fait, le Royaume-Uni n’a créé quasiment aucun emploi net dans le secteur privé depuis près de 5 ans, mais a bénéficié de l’augmentation très forte des emplois dans le secteur public.

Cela reflète le fait que les croissances anglaise et américaine reposent très largement sur l’augmentation de la dépense publique, qui a littéralement explosé sous Blair et Bush, passant de 38% à 45% du PIB au RU et de 34% à 37% aux EU entre 2000 et 2006. Dans le cas britannique, cette relance keynésienne (centrée sur les secteurs de l’éducation et de la santé) s’est faite grâce à l’augmentation des impôts et à la cagnotte du pétrole de la Mer du Nord, tandis que l’administration Bush a présidé (pour payer sa guerre en Irak) à une augmentation sans précédent de la dette publique - et de la dette privée, la plupart des ménages se voyant obligés d’emprunter - sur le dos d’une bulle immobilière également sans équivalent - pour compenser la stagnation de leurs revenus. Mais dans ce cas-là, semble-t-il, il s’agit de "dynamisme". Il paraît cependant légitime de se demander quelle partie du modèle anglo-saxon nous sommes conviés à copier...

Les dépenses publiques "How Labour steered an economy going global" Financial Times, 19/09/2006

Evidemment, il ne s’agit pas de dire que tout va bien en France, ni qu’il n’y a rien à changer. Mais le mot "réforme" est maintenant porteur d’un tel agenda idéologique qu’on aurait sans doute tout à gagner à l’exclure de tout discours qui se voudrait sincère. A moins, bien entendu, que nous soyons tous déjà d’accord que l’objectif qu’il convient de fixer soit effectivement de faire baisser les revenus des travailleurs les plus modestes afin de réduire le fardeau qui pèse sur les quelques "happy few" en haut de l’échelle des revenus.

Il est tentant de se demander si le feu roulant qui tend à déprécier l’économie française provient de ceux qui ne supportent pas l’existence d’un modèle social différent, modèle qui prouverait que la "réforme" n’est pas indispensable. S’il est possible d’assurer la prospérité de presque tous en décourageant la concentration de la richesse entre quelques mains, cela élimine le principal argument des partisans du capitalisme débridé. Comme l’a dit le milliardaire Warren Buffett, les riches aux Etats-Unis mènent - et gagnent - la lutte des classes. Depuis la chute du mur de Berlin, ce vocabulaire semble décrédibilisé et désuet, ce dont certains ont su profiter. Il serait temps de noter qu’ils n’agissent pas dans l’intérêt de tous, mais uniquement dans le leur.

Cet article est extrait du site European Tribune. Il a été publié partiellement par le quotidien Le Monde.

21 septembre 2007

Remaniement ministériel, la photo officielle

Voici la photo officielle du nouveau gouvernement aprés le remaniement ministériel



20 septembre 2007

Sarkozy va-t-il chercher la croissance en faisant la guerre ?



Nicolas Sarkozy a promis que si la croissance n’est pas au rendez-vous, il ira «la chercher». Mais où et à quel prix ? Au prix de l’engagement de la France dans un conflit militaire d’envergure. Absurde ? Pas si sûr… Démonstration.

Le 17 janvier 1961, dans son célèbre discours de fin de mandat, le président Eisenhower mettait en garde les États-Unis contre les dangers du «complexe militaro-industriel» : «Cette conjonction entre un immense establishment militaire et une importante industrie privée de l’armement est une nouveauté dans l’histoire américaine. (...) Nous ne pouvons ni ignorer, ni omettre de comprendre la gravité des conséquences d’un tel développement. (...) nous devons nous prémunir contre l’influence illégitime que le complexe militaro-industriel tente d’acquérir, ouvertement ou de manière cachée. La possibilité existe, et elle persistera, que cette influence connaisse un accroissement injustifié, dans des proportions désastreuses et échappant au contrôle des citoyens. Nous ne devons jamais permettre au poids de cette conjonction d’intérêts de mettre en danger nos libertés ou nos méthodes démocratiques. Rien, en vérité, n’est définitivement garanti. (…)»

30 ans plus tard, jour pour jour, Gorge Bush père déclenchait l’opération «Tempête du Désert» avec pour objectif officiel de chasser les troupes de Saddam Hussein du Koweït, après avoir incité le dictateur irakien à envahir l'émirat ; telle était (et est toujours) la conviction du documentariste/pamphlétaire Michael Moore, des journalistes Dominique Jamet et Thierry Meyssan (auteur de l'ouvrage controversé "L'Effroyable imposture"), ou encore de l’ancien porte-parole de la Maison-Blanche Pierre Salinger. Car, pour nombre d’experts, c’est le complexe militaro-industriel US qui, par son lobbying et ses manigances, a conduit l’Amérique de Gorge Bush père à entrer en guerre, avec pour objectif inavoué de relancer l'ensemble de l’économie états-unienne.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est effectivement le secteur de l’armement qui est le principal moteur de la croissance des l’industries de l'informatique, du nucléaire, de l'aéronautique, de l'aérospatiale… et de la quasi-totalité des secteurs de la recherche scientifique. Ainsi, en déversant des milliers de tonnes de bombes sur l’Irak, c’est toute la machine économique états-unienne qui a été relancée au début des années 90. Et tout porte à croire que c’est la même logique qui a conduit Gorge W. Bush à intervenir aussi massivement en Afghanistan et en Irak, après les attentats du 11 septembre 2001. Ainsi, certains experts estiment qu’en 2 ans, les États-Unis ont largué plus de bombes sur les montagnes désertiques d’Afghanistan que sur l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Qu’est-ce qui justifie pareille absurdité au regard du résultat qu’on connaît (Ben Laden court toujours) ? En procédant à ce «déstockage massif», les États-Unis ont créé les conditions de leur réarmement tout aussi massif. Et c’est ainsi que depuis 1991, le complexe militaro-industriel dénoncé par le président Eisenhower, est doté de crédits quasiment illimités pour rééquiper en matériels dernier cri l’US Army, l’US Air Force, l’US Navy, et l’ensemble des services de renseignements qui traquent les réseaux Al-Qaida de Ben Laden aux quatre coins de la planète.
Alors, est-ce à cette logique que nous préparent Nicolas Sarkozy et son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner (tous deux partisans de l'intervention US en Irak) ? Car, où le Président de la République envisage-t-il de «chercher la croissance» qu’il nous promet si ce n’est sur le terrain militaire, aux côtés de l’Amérique de Gorge Bush. Et ce terrain propice ne serait-il pas la République islamique d’Iran qui est dans la ligne de mire de l’administration américaine… et maintenant dans celle du Quai d'Orsay ?

En France, comme aux USA, le complexe militaro-industriel tire de grands secteurs de l’économie. Mais, aujourd'hui, de nombreuses entreprises d’armement peinent à imposer leurs matériels sur le marché international, comme Dassault qui n’a pas vendu un seul avion de chasse Rafale à l’étranger. Autant dire que l’engagement de troupes françaises sur un vaste champ d’opérations militaires serait une aubaine pour le complexe militaro-industriel français et, comme le pensent certains, pour l’ensemble de l’économie nationale… Absurde ?

Steve Borrow pour Rénovation-démocratique

11 septembre 2007

Le nouveau modele Ben Laden 2007



Le nouveau modele Ben Laden 2007
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.Certifié C.I.A
.Approuvée par les medias

10 septembre 2007

Ethanol : l’énergie du … désespoir ou comment affamer des millions de pauvres !

De plus en plus de terres jusqu’ici cultivées pour produire de la nourriture se transforment en terres pour agrocarburants. Que cela puisse nous aider à combattre le réchauffement de la planète est discutable mais par contre ce qui est sûr, c’est que les prix mondiaux des aliments grimpent, rendant la vie de plus en plus difficile dans des pays du Sud. Ajoutons à cela les problèmes d’approvisionnement en eau, les catastrophes naturelles et une population mondiale en constante augmentation et vous aurez tous les ingrédients pour une catastrophe annoncée.

Article de John Vidal , « The Guardian », Mercredi 29 août 2007. Traduction Amis de la Terre.


Hectares après hectares, de hauts pieds de maïs entourent la petite ville de Carleton dans le Nebraska et font le bonheur d’agriculteurs comme Mark Jagels. Lui et son père exploitent 1000 ha. Le prix du maïs n’a jamais été aussi élevé et le futur n’a jamais était aussi rose. Carleton - dont le slogan est « le centre de tout » - vit un boom économique avec 200 millions de dollars investis par des fonds californiens dans une nouvelle usine d’agrocarburants. Après des années moroses, cela représente du travail à plein temps et bien payé pour 50 personnes.

Mais il y a un problème. Ces mêmes champs qui entourent la maison des Jagels apportent peut-être de l’argent dans les campagnes états-uniennes mais ils provoquent aussi une augmentation du prix du pain à Manchester, des tortillas à Mexico Cuidad et de la bière à Madrid. Les augmentations du prix de l’aide alimentaire aux plus pauvres en Afrique australe, du porc en Chine et du bœuf en Grande Bretagne sont une conséquence directe de ce qui se passe au Nebraska, au Kansas, en Oklahoma et en Indiana.

La famille Jagels, comme des milliers d’agriculteurs, a été poussée par le Président Bush à produire 160 milliards de litres de carburants non fossiles pour les transports, afin de réduire l’indépendance des Etats-Unis par rapport aux importations de pétrole. De la corbeille à pain mondiale qu’elle était, la ceinture céréalière des Etats-Unis a donc été transformée par patriotisme, en citerne à carburant. Il y a un an encore, ce maïs était destiné à nourrir le bétail ou était exporté comme aide alimentaire. La récolte de cette année ira essentiellement alimenter la nouvelle usine de Carleton. Elle y sera fermentée pour produire de l’éthanol, un alcool clair et sans couleur, consommé non pas par les humains mais par les voitures.

L’ère des agrocarburants débute à peine mais l’amplitude des changements qu’elle provoque sur l’agriculture et les marchés est déjà immense. Rien qu’au Nebraska, ce sont 400 000 ha supplémentaires de maïs qui ont été plantés cette année et cet état se vante de pouvoir produire 4,5 milliards de litres d’éthanol. Aux Etats-Unis, la totalité de la récolte de maïs est passée en éthanol l’an dernier. Et qu’est-ce que cela représente ? Juste 2% des carburants utilisés par les voitures.

« La situation n’a certainement jamais paru aussi bonne qu’actuellement », comme le confiait Jerry Stahr, un autre habitant du Nebraska, récemment à un journal local.

Les Jagels et Stahr participent à cette ruée globale vers l’or vert, une des transformations les plus importantes que l’agriculture mondiale a vu ces dernières décennies. Alors que les UEA, l’Union Européenne, la Chine, le Japon se sont engagés à utiliser 10% ou plus, de carburants automobiles alternatifs , partout dans le monde les agriculteurs se précipitent pour planter du maïs, de la canne à sucre, des palmiers à huile ou du colza. Toutes ces plantes peuvent être transformées en éthanol ou autres agrocarburants pour automobiles, mais cela signifie la porte de sortie pour d’autres productions.

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PROPAGANDE DU LOBBY MAÏS. LA SPÉCULATION SUR LES CÉRÉALES, CA PAYE : D’UN CÔTÉ, LE CONTRIBUABLE FINANCE DES MESURES DE DÉFISCALISATION, DE L’AUTRE, LE CONSOMMATEUR PAYE L’AUGMENTATION DES PRIX ALIMENTAIRES ! S’IL PEUT...

L’amplitude des bouleversements laisse rêveur. Le gouvernement indien annonce qu’il veut planter 14 millions d’hectares de plantes énergétiques, le Brésil 120 millions. L’Afrique australe est déjà surnommée le futur Moyen Orient des agrocarburants à cause des 400 millions d’hectares prêts à être convertis en culture de plantes comme le jatropha (ou pourghère), un arbuste résistant qui peut pousser sur les sols pauvres. L’Indonésie a l’intention de dépasser la Malaisie et d’accroître sa production d’huile de palme de 6,4 millions d’ha, à 26 millions d’ici 2005.

Même en admettant que cela puisse marginalement améliorer les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et la sécurité énergétique, les conséquences sont dévastatrices pour les prix alimentaires et tout ceux qui gênent cette nouvelle industrie. Il y a un an ou deux, tout le maïs utilisé aujourd’hui pour produire de l’éthanol aux Etats-Unis, était cultivé pour les besoins humains et pour le bétail. Du fait que les Etats-Unis exportent la majorité du maïs mondial, son prix a doublé en 10 mois et celui du blé a augmenté de 50%.

Les effets sur l’agriculture en Grande-Bretagne se traduisent par des augmentations partout. « Les cours mondiaux du maïs ont doublé » dit Mark Hill conseiller alimentaire de la firme Deloitte. « En juin, les prix du blé ont atteint en Grande-Bretagne et en Europe leur niveau le plus haut depuis plus d’une décennie. Ces augmentations des prix vont probablement provoquer une inflation dans les prix alimentaires car les transformateurs doivent payer des prix plus élevés pour des ingrédients de base comme le maïs ou le blé ».

Les minotiers britanniques, par exemple, ont besoin de 5,5 millions de tonnes de blé pour produire les 12 millions de pains vendus chaque jour en Grande-Bretagne. La majorité de ce blé est produite en Grande-Bretagne et l’an dernier les prix du blé à moudre sont passés de 150 à 300 euros la tonne. La firme Hovis a augmenté le prix standard du pain de 1,40 à 1,49 euro en février et a annoncé que d’autres augmentations étaient prévues. En France aussi, les gens ont été prévenus que le prix de leur chère baguette allait augmenter.

Pour Mark Hill, « L’époque de la nourriture bon marché est révolue ». Les prix de produits de base comme le sucre, le lait, le chocolat ont tous subi des augmentations, provoquant la poussée des prix au détail la plus importante depuis 3 décennies dans certains pays. « La viande aussi va augmenter car les volailles et les cochons sont largement nourris à base de céréales ». Pendant que se réjouissent les agriculteurs qui font des céréales , les producteurs de produits laitiers et les éleveurs essayent de survivre dans ce nouveau contexte économique.

Cet accroissement subi de la demande en agrocarburants, comme l’éthanol, frappe de plein fouet l’environnement et les plus pauvres. Le Programme Mondial Alimentaire de l’ONU qui nourrit environs 90 millions de personnes essentiellement avec du maïs états-unien, estime que de par le monde, ce sont près de 850 millions de personnes qui sont déjà sous-alimentées. Ce chiffre va bientôt s’aggraver car les prix de l’aide alimentaire ont augmenté de 20%, rien qu’en une année. Entre temps, les prix alimentaires ont augmenté en Inde de 11% en un an, le prix de l’aliment de base mexicain, la tortilla de maïs a quadruplé en février et plus de 75 000 personnes descendirent dans les rues pour protester. L’Afrique du Sud a vu ses prix alimentaires augmenter de près de 17% et la Chine a dû stopper toutes les nouvelles plantations de maïs pour faire de l’éthanol, après que le prix du porc ait subi une augmentation record de 42%, l’an dernier.

Aux Etats-Unis, où près de 40 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, le ministère de l’Agriculture a prévu une augmentation de 10% du prix du poulet. Les prix du pain, du bœuf, des œufs et du lait ont augmenté de 7,5% en juillet ce qui est la plus forte augmentation en 25 ans.

Pour Lester Brown , le président du World Watch Institute, groupe de recherche basé à Washington et auteur du livre « Qui va nourrir la Chine ? » : « La compétition entre les 800 millions d’automobilistes de par le monde qui veulent maintenir leur mobilité et les deux milliards d’humains les plus pauvres, qui essayent juste de survivre, devient un problème dramatique. »

Pour Brown, les choses ne vont pas s’arranger. L’Organisation Mondiale de l’Alimentation de l’ONU prévoit que dans les 3 années à venir la demande en agrocarburants va augmenter de 170%. Une autre étude de l’OCDE - le club des 30 pays les plus riches de la planète - suggère des augmentations des prix alimentaires allant de 20 à 50 % dans les 10 années à venir. Et pour le président de Nestlé, la plus grande entreprise alimentaire au monde, aussi loin qu’on puisse voir, les prix alimentaires resteront élevés.

C’est un « parfait cyclone » social et écologique qui est en train de gagner en force, menaçant d’innombrables humains avec des pénuries alimentaires et des augmentations de prix. Alors que les grands producteurs agricoles mondiaux arrêtent de produire de la nourriture pour les humains et les animaux d’élevage,
- la population mondiale augmente chaque année de 87 millions d’humains ;
- des pays émergeants comme la Chine et l’Inde adoptent une alimentation carnée qui nécessite plus de terre agricoles ;
- les changements climatiques commencent à frapper durement les producteurs agricoles ;
- de récents rapports dans les journaux « Science » et « Nature » suggèrent qu’un tiers de l’industrie mondiale de la pêche est sur le point de s’effondrer, que les deux tiers seront en cours d’effondrement d’ici 2025 et qu’en 2048, la pêche sur les grands océans aura pour ainsi dire disparu ;
- le Ministère de l’Agriculture des Etats-Unis annonce que « Cette année, les réserves globales de céréales ont atteint leurs niveaux les plus bas jamais enregistrés. Hors période de guerre, il n’y a jamais eu un niveau aussi bas en un siècle et peut-être même plus ».

« Ces 8 dernières années ont vu 7 années où la consommation mondiale a dépassé la production », nous dit Lester Brown. Les réserves mondiales de céréales, c’est à dire la nourriture gardée en cas d’urgences ne couvrent aujourd’hui plus que 50 jours. Pour les experts, nous sommes rentrés dans « l’ère de l’après abondance alimentaire ».

Brown prévient que la crise alimentaire ne fait que commencer. Ce qui l’inquiète autant que cette nouvelle compétition entre nourriture et agrocarburants, est le fait que les populations profitant du boom économique en Inde et en Chine – les deux pays les plus peuplés de la planète avec près de 40% de la population mondiale à eux deux – abandonnent leur régime alimentaire traditionnellement riche en légumes. Elles adoptent le régime nord-américain qui contient plus de produits carnés et laitiers. La demande en viande a quadruplé en Chine en 30 ans et en Inde les œufs et les produits laitiers sont de plus en plus populaires.

« En soi, ce ne serait pas un problème », nous dit Brown « si ce n’est que cela implique une demande accrue en eau pour faire pousser plus de nourriture. En effet, il faut 7 kg de céréales pour produire 1kg de bœuf et une augmentation de la demande en bœuf nécessitera des surfaces énormes de terres pour cultiver ces céréales. La plupart de ces terres devront bien sûr être irriguées. Les nappes d’eau baissent dans les pays qui regroupent la moitié de la population mondiale. Alors que de nombreux analystes et décideurs s’inquiètent de futures pénuries d’eau, peu ont fait le lien entre les pénuries d’eau et les pénuries alimentaires. »

De nouvelles données de la Banque Mondiale montre que 15% de la nourriture mondiale actuelle dont dépendent 160 millions d’humains pousse grâce à de l’eau tirée de sources souterraines qui s’épuisent rapidement ou de rivières qui s’assèchent. Dans de grandes zones de la Chine et de l’Inde, les nappes d’eau ont baissé de façon catastrophique.

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IL FAUT AU MOINS 45 L D’EAU POUR FAIRE POUSSER LE MAÏS NÉCESSAIRE À PRODUIRE 1 LITRE D’ÉTHANOL. DES MILLIARDS DE M3 D’EAU SONT GASPILLÉS ALORS QUE DES MILLIONS D’HUMAINS N’ONT PLUS D’EAU ! AMOUR DE LA VIE ?

Les scientifiques sont de plus en plus inquiets. En début d’année, des spécialistes de l’eau provenant de centaines d’instituts de partout dans le monde ont publié l’analyse la plus importante jamais réalisée sur l’eau et la nourriture. Leurs conclusions font froid dans le dos. Avec l’eau de la planète et les ressources en terre et en humains, il serait possible de produire assez de nourriture pour le futur. Comme le dit David Mollen, vice directeur général de l’Institut International de Gestion de l’Eau « Il est probable que nos modes de production de nourriture actuels et les évolutions environnementales vont provoquer des crises dans de nombreuses régions du monde ».

Entre temps, les changements climatiques entrainent des précipitations plus fortes, des tempêtes imprévisibles, des sécheresses plus longues et des changements dans les saisons. En Grande-Bretagne, les inondations de cet été vont provoquer un manque pour des légumes comme les pommes de terre et les petits pois et pour des céréales comme le blé. Cela va venir s’ajouter à une augmentation de 4,9% des prix alimentaires de janvier à mai – bien au-dessus du taux d’inflation – et à une augmentation de 9,6% pour les légumes.

La Grande-Bretagne peut encaisser le coup, mais ailleurs, les changements climatiques peuvent s’avérer désastreux. Josette Sheeran, la nouvelle directrice du Programme Alimentaire Mondial, racontait récemment à des collègues à Rome : « J’ai rencontré des dirigeants de Madagascar qui sortaient d’une série de 7 cyclones rien que pour les 6 premiers mois de l’année. Je leur ai demandé quand est-ce que la saison des cyclones s’arrêtait et ils m’ont répondu qu’il est de plus en plus difficile de répondre à cette question. Les agriculteurs savent que les schéma climatiques prévisibles font partie du passé. Comment le système mondial de production de nourriture va s’en sortir avec des risques climatiques aussi aléatoires ? »

Avec de plus en plus de difficultés. Le Panel International sur les Changements Climatiques prévoit qu’une des conséquence des changements climatiques pourrait être que la production de l’agriculture dépendant des pluies soit réduite de moitié d’ici 2020. Pour Josette Sheeran, « Tout chiffre approchant les 50% de réduction dans les rendements posera de toute évidence d’énormes problèmes ». En l’espace d’une semaine, le Lesotho a déclaré l’état d’urgence alimentaire après la pire sécheresse subie depuis 30 ans et les récoltes grandement diminuées du voisin sud-africain ont poussé les prix bien au-delà de ce que peut payer la majorité de la population.

D’autres analystes et hommes politiques vous diront bien sûr que tout cela est bien sombre. Récemment, cette année, le président du Brésil, Luiz Lulla, affirmait au Guardian qu’il n’y avait aucune raison qu’il y ait des pénuries alimentaires ou qu’on ait besoin de détruire la forêt pour faire pousser de la nourriture. D’après lui « Le Brésil aurait 320 millions d’ha de terres arables et seul 1/5 serait cultivé. De ces terres cultivées, moins de 4% seraient utilisés pour produire de l’éthanol. On n’aurait donc pas à choisir entre nourriture et énergie ».

D’autres affirment que les augmentations des prix alimentaires ne sont que temporaires et retomberont d’ici un an, lorsque le marché réagira. Les scientistes eux mettent leurs espoirs dans les plantes OGM ou résistantes à la sécheresse ou croient que les producteurs d’agrocarburants vont développer des techniques qui nécessitent moins de matière première ou utilisent les parties non comestibles des plantes. Le plus probable dans l’immédiat est que des pays comme l’Argentine, la Pologne, l’Ukraine et le Kazakhstan cultivent encore plus de nourriture pour l’exporter alors que les excédents des Etats-Unis diminuent.

De retour dans les grandes plaines, où entre temps la fièvre de l’éthanol bat son plein. L’an dernier, à la même époque, il y avait moins de 100 usines d’éthanol dans tous les Etats-Unis avec une capacité totale de 22 milliards de litres. Il y a au moins actuellement 50 usines en construction et plus de 300 en projet. Même si, la moitié d’entre elles seulement étaient construites, elles réécriraient la politique de l’alimentation mondiale.

Pour continuer, un peu de lecture :

- La situation mondiale vu par la Fédération Internationale des Amis de la Terre et notamment par les groupes du Sud : "Agrocarburants une catastrophe écologique et sociale programmée", voir http://www.amisdelaterre.org/-Les-carburants-.html
- un exemple français, l’usine d’éthanol à Lacq (64) : "OGM, biocarburants et Euralis", voir http://www.amisdelaterre.org/OGM-biocarburants-et-euralis.html

Par Christian Berdot

Les amis de la terre