"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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21 avril 2008

Chomsky : Affamer les pauvres


La pression à la hausse sur les cours du maïs, qui devient désormais une ressource énergétique avec la filière Ethanol, a provoqué une augmentation de 50% sur les tortillas au Mexique, déclenchant des protestations parmi les travailleurs agricoles dont c’est l’alimentation de base. Loin des prétentions des thuriféraires de la mondialisation qui la présentent comme un mécanisme ne faisant que des gagnants, la réalité de la domination américaine sur les marchés déstabilise les plus faibles en Amérique Latine.

Par Noam Chomsky, 16 mai 2007, The International News

Le chaos provoqué par ce qu’on appelle l’ordre international est bien néfaste pour ceux qui se trouvent dans les niveaux inférieurs de la structure. Les tortillas [crêpes de maïs mexicaines] sont maintenant l’enjeu d’un conflit. Dans plusieurs régions du Mexique le prix des tortillas a augmenté de plus de 50%. En janvier, dans la ville de Mexico, des dizaines de milliers de travailleurs et de paysans ont manifesté sur le Zócalo, place centrale de la ville, pour protester contre le prix trop élevé des tortillas.

En réponse le gouvernement du président Calderón est parvenu à un accord avec les producteurs et les détaillants pour fixer une limite aux prix de la tortilla et de la farine de maïs, très probablement une solution temporaire.

La hausse des prix menace le principal produit alimentaire des Mexicains pauvres. C’est l’un des résultats de ce qu’on pourrait appeler l’effet éthanol, conséquence de l’acharnement des Etats-Unis à vouloir produire de l’éthanol à partir du maïs - substitut énergétique du pétrole, dont les principales réserves se trouvent bien sûr dans les régions du monde où l’ordre international est le plus menacé.

Ainsi l’effet éthanol aux Etats-Unis a fait monter les prix d’une bonne quantité de produits alimentaires, comme les céréales et la volaille. Il n’existe pas de relation directe entre l’instabilité au Moyen-orient et le coût de l’alimentation aux Etats-Unis, bien entendu. Mais comme toujours dans le commerce international les puissants font incliner la balance. Depuis bien longtemps l’un des objectifs de la politique extérieure des Etats-Unis a toujours été de créer un ordre global dans lequel les entreprises états-uniennes disposent d’un libre accès aux marchés, aux ressources et aux opportunités d’investissement. C’est ce qui est communément appelé le « libre échange », dénomination qui ne résiste pas au premier examen sommaire.

Cela n’est en rien différent de ce que la Grande-Bretagne, antécesseur dans la domination mondiale, avait imaginé durant la deuxième moitié du XIXème siècle quand elle adopta le libre échange, non sans avoir auparavant atteint une puissance industrielle bien supérieure à tous ses rivaux potentiels grâce à 150 ans d’interventionnisme étatique.

Les Etats-Unis ont dans une grande mesure suivi le même modèle. Généralement les grandes puissances désirent un certain niveau de libre échange lorsqu’elles considèrent que cela favorise les intérêts économiques qu’elles protègent. Cela a toujours été, et cela reste, l’un des caractères principaux de l’ordre international.

Le boom de l’éthanol relève de la même logique. Comme le signalent C. Ford Runge et Benjamin Senauer, spécialistes de l’économie agricole, dans le dernier numéro de Foreign Affairs, « l’industrie du biocombustible n’est pas activée par les forces du marché mais elle est depuis longtemps dominée par les intérêts de quelques entreprises », notamment par Archer Daniels Midland, le plus grand producteur d’éthanol.

La production d’éthanol se maintient grâce aux subventions de l’Etat et grâce aux tarifs douaniers forts élevés qui empêchent l’entrée de l’éthanol brésilien issu de la canne à sucre, nettement meilleur marché et de meilleure qualité. En mars lors d’un voyage du Président Bush en Amérique latine, la seule chose à laquelle il soit parvenu c’est à un accord avec le Brésil pour une production conjointe d’éthanol.

Mais Bush, tout en répétant la rhétorique du libre échange pour autrui soulignait que les hauts tarifs douaniers qui protègent les producteurs états-uniens seraient maintenus, ainsi que bien entendu tous les dispositifs d’aides gouvernementales pour cette branche.

Malgré les énormes subventions apportées à l’agriculture [états-unienne], financées par les contribuables, les prix du maïs et des tortillas ont augmenté très vite. L’un des facteurs c’est que les industriels commencent à utiliser les variétés de maïs mexicain qui sont meilleur marché. Cela fait monter les prix. Le Traité de libre commerce (TLC) de 1994 peut jouer un rôle de plus en plus important. Les déséquilibres initiaux du TLC ont eu pour conséquence d’inonder le Mexique de produits de l’agro-industrie subventionnée - contraignant bien des producteurs mexicains à abandonner leur terre.

L’économiste mexicain Carlos Salas après une analyse détaillée des données a signalé que, après une augmentation constante jusqu’en 1993, l’emploi dans l’agriculture a commencé à baisser avec l’entrée en vigueur du TLC, notamment parmi les producteurs de maïs - conséquence du TLC selon les conclusions de Carlos Salas et d’autres. Un sixième de la force de travail mexicaine dans l’agriculture a disparu depuis le début du TLC, et ce n’est pas fini. Cela fait baisser les salaires dans d’autres secteurs de l’économie et cela fait augmenter l’immigration vers les Etats-Unis. Ce n’est certainement pas tout à fait par hasard si le Président William Clinton a militarisé la frontière mexicaine -auparavant assez ouverte-, en 1994, juste au moment de l’entrée en vigueur du TLC.

Le Mexique auparavant autosuffisant sur le plan alimentaire est devenu dépendant des Etats-Unis du fait de la politique de « libre échange ». Le prix du maïs augmentant aux Etats-Unis, sous la pression des grandes entreprises et de par l’interventionnisme de l’Etat, on peut anticiper que les prix continueront d’augmenter de façon drastique au Mexique. De plus en plus les biocombustibles sont susceptibles d’« affamer les pauvres » dans le monde, disent Runge et Senauer, dans la mesure où les produits sont transformés en éthanol pour les privilégiés - le manioc en Afrique sub-saharienne pour prendre un autre exemple préoccupant.

De la même façon, dans le sud-est asiatique, les forêts tropicales sont taillées et brûlées pour produire de l’huile de palme destinée aux biocombustibles. Et aux Etats-Unis l’environnement est menacé par l’utilisation de grandes quantités d’intrants dans la production de maïs pour d’éthanol.

Le prix élevé de la tortilla, comme les autres soubresauts de « l’ordre international », montre le lien qui existe entre les événements du Moyen-orient au Midwest [« Moyen Occident », région centrale des Etats-Unis] et la nécessité d’établir des relations commerciales basées sur des accords vraiment démocratiques entre les personnes, et non sur des intérêts dont l’objectif principal ce sont les bénéfices des grandes entreprises subventionnées et protégées par l’Etat qu’elles dominent complètement, sans la moindre considération pour le coût humain.

ContreInfo


14 avril 2008

Les fausses explications de la crise alimentaire dans la presse

Depuis plusieurs jours, des manifestations populaires prennent forme
dans de nombreux pays du Sud. Les raisons de ce mécontentement sont
partout semblables ; les prix de la nourriture de base ont augmenté de
manière aussi brutale qu'importante et les populations, déjà
paupérisées par la mondialisation, se retrouvent dans l'incapacité
d'assumer cette charge supplémentaire. Les peuples ont faim ! Les
causes de cette flambée sont multiples mais elles sont globalement
issues des jeux économiques. D'une part, une spéculation de replis sur
les denrées alimentaires suite à la crise des subprimes, d'autre part
la production d'agrocarburants et le réchauffement climatique.
Pourtant, certains journalistes pointent dans leurs articles les
autorités locales africaines comme responsables des choix
catastrophiques en matière de politiques alimentaires, semblant
ignorer que les politiques agricoles des pays du Sud sont soumises aux
conditionalités de la Banque mondiale, du Fonds Monétaire
International (FMI) ou encore aux Accords de Partenariats Économiques
(APE). Ceux qui façonnent l'opinion publique font ici preuve d'une
légèreté étonnamment orientée. C'est ainsi que l'on peut lire dans la
presse écrite belge : <<>

>>. Raccourci étonnant. Aussi étonnant que simplificateur et qui

dédouane à peu de frais les politiques néolibérales de privatisations,
de plans d'ajustements structurels, imposés depuis bientôt trente ans
par les Institutions Financières Internationales (IFI's) et les
gouvernements du Nord au reste de la planète.

par Eric De Ruest

Les PAS (plans d'ajustements structurels) ont été imposés par les
institutions de Bretton Woods aux pays du Sud dans le contexte de la
crise de la dette du début des années 1980 |2|. Ces mécanismes, tout
droit issus de l'idéologie néolibérale, englobent l'ensemble des
secteurs des sociétés visées. En effet, pour les théoriciens du
néolibéralisme, la mondialisation déploiera l'ensemble de ses
bienfaits quand chaque région produira ce en quoi elle excelle et
laissera donc le soin aux autres régions de produire la majorité de ce
dont elle a besoin. C'est en substance la théorie des avantages
comparatifs datant de 1817. Plus simplement, un pays reconnu comme
étant particulièrement adapté à la culture du cacao doit renoncer à
produire les céréales, les huiles végétales, les légumineuses
nécessaires à l'alimentation de base de ses habitant(e)s et doit
échanger sur le marché mondial sa production contre tout ce qui lui
manque. Il s'agit donc de se couper des cultures vivrières séculaires
et essentielles à la souveraineté alimentaire des peuples pour se
plier aux jeux des économistes. Jeux dangereux qui ont montré leurs
limites très rapidement et dont on peut contempler toute la déraison à
travers les échecs observés dans de nombreux pays ( Haïti, le Sénégal,
le Burkina Faso, etc.). Dangereux car ignorant la destruction de la
biodiversité au profit des monocultures d'exportations, ignorant aussi
les impacts écologiques désastreux des transports nécessaires pour
toutes ces marchandises. De plus, comment imaginer, sans une politique
volontariste de contrôle des prix, qu'un pays qui exporte l'arachide
dont les cours restent bas pendant 20 ans sur le marché mondial pourra
importer les tracteurs et le pétrole nécessaires à son maintient sur
ce marché ? Quand on connaît la tendance des cours du Brent à
s'envoler toujours plus vers de nouveaux sommets et des prix des biens
manufacturés à rester démesurément supérieur aux cours de cette pauvre
cacahuète, on imagine la catastrophe. C'est immanquablement la ruine
et la famine pour la paysannerie locale et l'inévitable migration vers
les bidonville pour une large partie de cette population.

Quelle est donc cette théorie issue des milieux intellectuels réputés
sérieux qui fait fit de la biodiversité, de la souveraineté
alimentaire des peuples, des risques de destruction par différents
fléaux naturels ou humains accrus par le choix de la monoculture, de
l'essence chaotique du marché |3|, de la pollution généralisée ?

Une stratégie délibérée de transformation sociale à l'échelle mondiale
Dans son premier rapport de 1999 consacré aux PAS, M. Fantu CHERU |4|
explique que l'ajustement structurel va <<>> Réduction du rôle de l'Etat. Et cela vient
d'un rapporteur spécial des Nations-Unies. M. CHERU n'est d'ailleurs
pas le seul rapporteur des Nations-Unies à avoir évoqué dans ses
travaux les conséquences néfastes des PAS. Des critiques détaillées
issues des travaux d'autres experts onusiens font feu de tout bois
dans les domaines du droit au logement, du droit à l'alimentation ou
encore à celui de l'éducation |5|. Là où les IFI's imposent la
privatisation et ouvrent une voie royale à l'appétit gargantuesque des
multinationales. C'est donc à cause d'une dette trop souvent issue de
dictatures ou d'emprunts réalisés par les puissances coloniales (l'un
n'empêchant pas l'autre) et transférés aux états nouvellement
indépendants, que les gouvernements des pays du Sud (d'Afrique en
particulier) |6| ont été contraint d'accepter les PAS et ainsi
concéder une part importante de leur souveraineté. Si bien qu'avancer
aujourd'hui que les choix stratégiques pour l'alimentation seraient
encore dans les mains des gouvernements du Sud relève à moins d'un
manque d'information indigne du journalisme que l'on est en droit
d'attendre en démocratie. Entendons par la que fustiger à tord les
africains est une contre-vérité lourde de sens et qui n'aide en rien à
créer un climat fraternel entre les peuples.

Un exemple pour mieux comprendre les impacts négatifs des PAS : Haïti
Les émeutes qui se sont déclenchées la semaine dernière à Port-au-
Prince, mais aussi dans d'autres villes haïtiennes, ont été réprimées
dans le sang. Une quarantaine de blessés au total dont quatorze par
balles et au moins 5 morts. Pourtant, ces manifestations n'étaient que
le résultat prévisible d'une flambée subite du prix du riz (de l'ordre
de 200%). Quand on sait qu'aujourd'hui 82% de la population vit dans
une précarité absolue avec moins de 2$ par jour, on comprend
facilement de telles réactions face à cette augmentation. Haïti
utilise 80% de ces recettes d'exportation uniquement pour couvrir les
importations nécessaires à ses besoins alimentaires |7|. Cependant, il
n'en a pas toujours été comme cela. Avant la chape de plomb
dictatoriale des Duvalier père et fils (de 1954 à 1986), l'île
connaissait l'autosuffisance alimentaire. Mais la tendance qu'ont les
IFI's à soutenir les dictatures s'est encore confirmée ici et le
peuple haïtien, en plus des blessures personnelles (tortures,
exécutions sommaires, climat de terreur permanent instauré par les
tontons macoutes), se voit réclamer le remboursement de la dette
externe qui culminait en septembre 2007 à 1,54 milliard de dollars |8|
Le secteur agricole aura été le plus durement touché par les exigences
des prêteurs et puisque la population était majoritairement rurale,
l'ampleur des dégâts n'en a été que plus importante. En cause ?
Principalement l'abaissement des droits de douanes imposé aux pays du
Sud mais rarement respecté entre l'Europe et les Etats-unis. Et
l'enchaînement fatal s'est mis en place ; arrivée d'un riz produit à
l'étranger à moindre coût (car subventionné) donc exode vers les
villes de nombreux paysans ruinés et donc impossibilité de réaction du
marché local en cas de flambée des prix sur le marché international.
Ici comme ailleurs, les bénéfices de la libéralisation sont
inexistants pour la très grande majorité de la population, les dégâts
sont par contre considérables.

Un tsunami d'origine bien humaine
Quand les pompiers pyromanes communiquent, partout la presse y fait
écho. Le (pas très bon) mot de L.Michel est cité par tous les
journalistes de la place européenne : <<>>. On pourrait croire par là que la crise a une cause
extra-humaine, comme le fruit d'une catastrophe naturelle. Pourtant,
comme nous l'avons développé plus haut, les causes de la crise sont
par trop le résultat de politiques dictées par les milieux financiers
aux gouvernements du Sud. C'est aussi à notre voracité énergétique
qu'il faut imputer une des cause de cette crise ; Les agrocarburants
rentrent bien en concurrence, sur le marché, avec les denrées
alimentaires. La spéculation qui se fait autour de cette nourriture
changée en carburant tire le prix des céréales et du sucre vers de
nouveaux plafonds. Même Peter Brabeck, patron de la multinationale
Nestlé, s'inquiète de la situation dans une interview au journal
suisse <<>> du 23 mars 2008. Pour lui, si l'on veut
couvrir 20% de la demande pétrolière avec des agrocarburants, il n'y
aura plus rien à manger |9|

Il est donc plus que temps d'abandonner ce modèle de
(sous-)développement néfaste et de laisser le choix aux populations de
cultiver prioritairement pour leur marché intérieur. Actuellement,
avec les connaissances acquises dans le domaine de l'agriculture
respectueuse de l'environnement, nous pouvons viser l'autonomie
alimentaire régionale sur l'ensemble de la planète et donc satisfaire
à un droit humain fondamental, celui de se nourrir décemment. Les
conséquences positives de ces progrès tant attendus seraient de
favoriser rapidement la santé dans un premier temps, puis l'éducation,
induisant une qualité de vie meilleure sous toutes les latitudes.

notes articles:

|1| p.4 de <<>>, un article de M.F.C. (avec l'AFP et
Reuters) ce jeudi 10 avril 2008

|2| Lire E.Toussaint <<>> chap.8 p.187 coédition Syllepse /CADTM/CETIM, 2004.

|3| Benoît Mandelbrot a conçu, développé et utilisé une nouvelle
géométrie de la nature et du chaos. On sait moins que la géométrie
fractale est née des travaux que Mandelbrot avait consacré à la
finance au cours des années 1960. Pour de plus amples informations
lire : <<>>, de Benoît Mandelbrot,
1959-1997 en poche.

|4| Expert indépendant auprès de l'ancienne commission des droits de
l'homme des Nations-Unies (sur les effets des PAS sur la jouissance
effective des droits humains - rapport E/CN.4/1999/50 du 24 février
1999)

|5| Lire à ce propos la brochure éditée par le CETIM <<>>, décembre 2007.

|6| Pour le Congo par exemple, au 30 juin 1960, jour de
l'indépendance, la dette directe s'élève à un total de 921 096 301,44
US$ >> (Tiré de l'article de Dieudonné Ekowana).

|7| Ce qui laisse très peu de marge pour tout le reste, tout ce qui
est pourtant nécessaire au développement d'un pays. Jamais d'ailleurs
le duo infernal FMI/BM ne s'est vanté d'une quelconque réussite de ses
politiques sur cette île.

|8| Selon la Banque mondiale et l'Office des Nations unies contre la
drogue et le crime (UNODC) Bébé Doc. aurait détourné au total entre
300 et 800 millions de dollars.

|9| Tout comme le Premier ministre italien, Romano Prodi, sceptique
sur les bénéfices des agrocarburants et qui a affirmé qu'une
transition vers ce type de palliatif au pétrole aurait un impact
négatif sur la production alimentaire.

Alterinfo

08 avril 2008

Claude Allègre, nouvelles contrevérités sur le climat

Claude Allègre, nouvelles contrevérités sur le climat

Claude_allegre L'ancien ministre socialiste et qui voulait devenir ministre de Nicolas Sarkozy publie ce matin un nouvel article sur le climat dans l'hebdomadaire Le Point. Il est fondé sur des contreverités factuelles impardonnables pour un scientifique censé respecter un minimum de règles éthiques dans sa communication avec le public.

La première est la plus énorme. Voici ce qu'écrit Claude Allègre :

"Les très officielles et respectées agences Hadley Center, Nasa, GISS ont effectivement confirmé que l'année 2007 avait été caractérisée par une chute des températures de 0,60 à 0,75°C, une valeur qui annule en un an l'augmentation moyenne de températures depuis vingt ans".

Or, voici justement ce qu'écrivait le GISS (Goddard institute for space studies), donc l'équipe de James Hansen, dans son bilan de l'année 2007: "L'année 2007 est la seconde année la plus chaude dans la période couverte par les données instrumentales, derrière l'année record en 2005".

Comme l'éminent géochimiste a t-il pu en arriver à écrire une telle énormité ? Tout simplement parce qu'il fait semblant de ne pas savoir lire une courbe sur un graphique. Il présente en effet, à l'appui de sa tonitruante affirmation, une courbe des écarts moyens de températures depuis 1988 à l'échelle mondiale, établie par le Hadley Center, le centre de recherche du Met Office britannique.

Or, il se trouve que le mois de janvier 2008 est exceptionnellement froid, à l'échelle mondiale. Mais Claude Allègre raisonne comme si la température moyenne de ce seul mois de janvier 2008 était celle de toute l'année 2007. Une erreur grossière qui vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année en géosciences.

Voici la courbe des anomalies de températures mondiales et la carte de celles de 2007 établies par l'équipe de James Hansen, au GISS.

Fig1_2007annual_s_4

La baisse de 0,60°C à 0,75°C dont parle Claude Allègre existe, mais elle résulte d'une comparaison entre le seul mois de janvier 2007 et le seul mois de janvier 2008. Comme janvier 2007 fut exceptionnellement chaud - le troisième mois de janvier le plus chaud depuis un siècle ! - et celui de janvier 2008 exceptionnellement froid... il est logique que la chute soit drastique. Voici d'ailleurs la carte des anomalies de températures en janvier 2008
Tempratures_janvier_2008_2

Cette carte explique l'origine de cette situation exceptionnelle. Si l'anomalie froide sur l'Asie centrale est peu ou prou compensée par une anomalie chaude sur l'Europe du Nord et la Sibérie, l'essentiel se joue sur le Pacifique tropical. La grande tache bleue signale que l'océan est le siège d'une Nina de très grande ampleur.El_nina_fevrier_2008 Il s'agit de la phase froide de l'oscillation bien connue des climatologues et des océanographes dont le nom scientifique est ENSO, pour El Nino southern oscillation. En phase chaude - El Nino (désolé pour les hispanophones, mais je ne sais pas mettre le tilde sur le n...) se traduit par un énorme glissement vers l'Amérique des eaux chaudes de surface. C'est l'El Nino de 1997-1998 qui explique que l'année 1998 fut longtemps la plus chaude du siècle. Puis, en phase froide, ce sont les eaux profondes, froides, qui s'étendent plus que d'habitude à la surface du Pacifique Est. Le satellite d'altimétrie Jason observe cette Nina depuis la fin de 2007.

La comparaison faite par Allègre entre les deux mois de janvier 2007 et 2008, et présentée de manière ou mensongère ou erronée, est donc de peu d'intérêt climatologique. La preuve : on observe une chute de même ampleur entre le mois le plus chaud de 1998 et le mois le plus froid de 1999. Déjà, c'était l'oscillation El Nino/La Nina qui était en cause.

Claude Allègre, dans son article multiplie les exemples d'événements météo ou saisonniers récents - chutes de neige, températures extrêmes locales - comme s'il s'agissait d'arguments climatiques, alors que seules les fréquences sur longue durée de tels événements ont un sens climatique. Cette confusion entre les aléas d'une météo chaotique par nature et les tendances climatiques provoquées par des changements dans les facteurs déterminants du climat (effet de serre, énergie solaire, volcanisme, courants marins, calottes polaires...) relève de la bévue de débutant.

Claude Allègre ne se limite pas à cette énormité. Il en livre une deuxième, impardonnable. Il prétend ainsi qu'il n'y a pas de tendance générale dans l'évolution du niveau de l'océan depuis 1993 et cite à cet égard les travaux d'Anny Cazenave, chercheur au Cnes, directrice adjointe du LEGOS, Laboratoire d'études en géophysique, et océanographie spatiales. Il publie même, dans son article, une carte des évolutions du niveau de l'océan tirée de ses travaux.
Il se trouve que, ce matin même, j'étais à la présentation des résultats et projets d'altimétrie spatiale au siège du Cnes, l'agence spatiale française. Et que madame Anny Cazenave y était elle aussi... et que ses déclarations sont un démenti formel des propos de Claude Allègre. "Il y a certes des endroits où le niveau de l'océan baisse et d'autres où il monte. Mais ces derniers étant beaucoup plus étendus et nombreux, le niveau moyen monte depuis 1993 de 3,3 millimètres par an, contre environ un millimètre par an au début du 20ème siècle."
Pour Anny Cazenave, "la moitié de cette élévation du niveau marin est provoquée par la dilatation thermique de l'océan en raison de son réchauffement. La fonte des glaciers continentaux, et la diminution de masse des calottes polaires expliquant le reste."

Commenter et relever les propos de Claude Allègre pourrait sembler inutile et répétitif. Comme de noter le soutien, prudent, qu'il donne à son ami Vincent Courtillot, prétextant que les critiques qui lui ont été faite concernant son article sur les relations entre le Soleil et le climat terrestre étaient le fait de médias employant contre lui "les mêmes termes infamants que contre Einstein en 1930". Un mensonge de plus puisqu'il a été démontré que les articles de Vincent Courtillot étaient tout simplement entachés d'erreurs factuelles et de calculs.
Mais l'ancien ministre pourrait peut-être le redevenir, puisqu'il y tient tant. Et donc jouer un rôle politique à rebours des préconisations des climatologues : maîtriser et diminuer les émissions de gaz à effet de serre afin d'atténuer tant que faire se peut les risques d'un changement climatique pour une part inéluctable... Et auxquels il faudra également s'adapter, avertissent-ils depuis vingt ans, l'un des mensonges récurrents de Claude Allègre, réitéré dans Le Point, étant que cet avertissement n'aurait pas été donné.
C'est pourquoi il faut souligner le courage d'un groupe de scientifiques, climatologues pour l'essentiel, qui ont publié, entre les deux tours des élections municipales, une lettre ouverte au Président et au premier ministre, s'inquiétant d'une telle nomination qui serait "un signal extrêmement négatif qui affaiblirait la crédibilité internationale de notre pays au moment où la France va prendre la présidence de l'Union Européenne."

Sylvestre Huet, journaliste à Libération