"La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté." (Max Stirner)."
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28 mai 2007

La morale politique de Sarkozy



« Exigence de réhabiliter les valeurs du travail, de l’effort, du mérite, du respect, parce que ces valeurs sont le fondement de la dignité de la personne humaine et la condition du progrès social. »
(Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République, à l’occasion de la cérémonie d’installation)

« Les citoyens ne se laissent opprimer qu’autant qu’entraînés par une aveugle ambition et regardant plus au-dessous qu’au-dessus d’eux, la domination leur devient plus chère que l’indépendance, et qu’ils consentent à porter les fers pour en pouvoir donner à leur tour. »
(Rousseau, Discours sur les inégalités)


On pourra longuement discuter de la manière dont Nicolas Sarkozy a pu obtenir le pouvoir présidentiel. On analysera avec raison l’origine sociale des électeurs, la maîtrise supposée de tel ou tel dossier, les capacités rhétoriques du personnage, mais toutes ces raisons ne suffisent pas encore à comprendre pourquoi il a pu convaincre une majorité de Français, en affichant des sentiments dans lesquelles ils peuvent se reconnaître et des valeurs dont ils peuvent espérer qu’elles s’inscriront dans les politiques à venir. Sur le plan de la communication, ce tour de force qui consiste à représenter une morale forte et assurée, puis à faire admettre qu’elle inspirera véritablement les politiques à venir, qui est indéniablement réussi.

L’usage politique de la morale

Tous les candidats jouent sur le terrain moral à partir du moment où ils parlent au nom de valeurs et évoquent leur désir de combattre les injustices. Tous savent que c’est sur un des terrains où l’on marque des points en politique, en renvoyant l’image d’une certaine morale, d’une certaine conception des valeurs et de la justice. A titre d’exemple, le discours communiste (qu’il soit porté par le Parti communiste, par la Ligue communiste révolutionnaire ou encore par Lutte ouvrière) vise d’abord à combattre l’injustice patente d’une répartition des richesses qui bénéficie aux propriétaires et non aux travailleurs, en considérant que ces derniers sont la source de la production de richesses ; ça n’a aucun sens de voter communiste sans le sentiment fort d’une telle injustice.

Autre exemple : on pourra débattre longuement du chômage, de sa mesure statistique, avec des avis contradictoires et des interprétations toujours plus fines, pour déterminer quels sont les droits il faut accorder aux chômeurs. Ce type de discussion est indispensable mais elle ne suffira pas à trancher la question. Il y a un moment où ce sont des choix d’ordre éthique qui décident. Ainsi, on pourra prendre position en soutenant qu’en fait de nombreux chômeurs sont des « tricheurs » ; on soulignera que « certains » vivent dans une aisance qui contraste avec les efforts imposés au reste de la population ; on insistera sur le fait qu’ils vivent sur les richesses de la France sans y contribuer, que d’autres « se lèvent tôt » pour leur permettre de vivre tout à fait correctement ; on sous-entendra en fin de compte que les uns reçoivent beaucoup sans faire d’effort et sans gratitude, payés par d’autres qui se privent ainsi d’une partie des richesses qu’ils ont créées. Conclusion : il vaut mieux baisser les droits des chômeurs, augmenter les contrôles, rendre l’accès au chômage plus difficile.

Voilà une argumentation oh combien efficace : on ne saura jamais qui sont exactement ces « tricheurs », combien ils sont, ni combien sont ceux qui sont lésés par le système, et peu importe pour l’électeur qui se voit imposer l’urgence de choisir. Il lui suffira de se reconnaître dans le rôle de celui qui est trompé, trahi, spolié, de répondre le plus simplement du monde à l’opportunité qui lui est offerte de donner un sens moral à sa situation… pour choisir ensuite un candidat capable de porter la justice à sa place. Devant une telle occasion de satisfaire son sens moral, à peu de frais et sans trop d’effort, il peut devenir difficile de résister.

Un discours de la réaction

Sur la question du chômage et sur tant d’autres, c’est à un même fond moral que le discours sarkoziste fait appel. Se revendiquer comme candidat des « valeurs » ou fustiger les injustices ne suffit pas. Incarner une morale en politique, c’est proposer une hiérarchie des valeurs capable de faire sens dans tous les domaines de la vie sociale. N. Sarkozy veut « remettre les bonnes valeurs au centre de la société ». Certes, mais ces « valeurs », quelles sont-elles ?

« Le peuple français a choisi de rompre. De rompre avec les idées, les habitudes et les comportements du passé. Je vais donc réhabiliter le travail, l’autorité, la morale, le respect. Je vais remettre à l’honneur la nation et l’identité nationale, je vais rendre aux Français la fierté d’être français. » (Discours du dimanche 6 mai 2007, soir des résultats du second tour)

La manière qu’a N. Sarkozy de « rompre avec le passé » peut paraître étrange, puisqu’il s’agit de remettre au goût des jours « le travail, l’autorité, la morale, le respect » et « la nation ». Or, ce type de valeurs, on en conviendra, n’est pas vraiment ce qui se fait de plus novateur en politique. Comment peut-on assimiler ainsi une volonté de rupture politique à ce qui constitue un fantastique retour en arrière ? Sur le plan historique, la manœuvre est en fait assez simple [1]. Il s’agit d’abord de brouiller les repères, voire de falsifier les oppositions historiques, par exemple en défendant la « liberté » de travailler plus au nom de Jaurès. Il s’agit aussi d’imputer la responsabilité de tous nos maux actuels à une certaine idéologie, celle de mai 68, et à une certaine politique, celle des réformes socialistes pour l’essentiel, pour rétablir ce que l’une et l’autre ont détruit. En fait, ce que défend Sarkozy est ni plus ni moins qu’un retour vers une morale que les droites des XIXe et XXe ont déjà portée et qu’on peut identifier comme tout à fait réactionnaire ; morale de la réaction, de la revanche et du ressentiment.

D’abord et avant tout, il s’agit de « rendre aux Français la fierté d’être français » : les Français ont perdu quelque chose, une dignité, que seule une autorité forte saura restaurer. Pour qui a le sentiment d’avoir été abandonné, qui pense avoir beaucoup donné et peu reçu en retour, la séduction du discours réactionnaire est très forte. C’est faire appel à un sentiment d’injustice très réel et particulièrement puissant.

« Je vous le dit avec franchise : la France ne peut pas continuer à en faire toujours plus pour ceux qui fraudent, abusent, ne veulent pas travailler, et toujours moins pour ceux qui font des efforts, respectent les principes essentiels d’une vie en société. » (profession de foi du 2nd tour)

Il faut bien supposer que ce qui a été perdu a été accaparé par quelqu’un, il faut que la rancoeur trouve un objet à sa portée. Il faut un coupable, mais qui exactement ? L’avant-veille du scrutin du second tour, TF1, chaîne de télévision la plus regardée de France, visiblement très soucieuse d’occuper l’espace médiatique pendant la courte trêve de campagne, proposait un reportage du « Droit de savoir »sur « la France qui triche : Faux chômeurs, RMIstes fraudeurs et malades imaginaires » [2]. Voilà une manière de désigner des coupables, sans trop de détour et sans prendre trop de risque. Voilà aussi une manière d’opposer une France à une autre, en produisant une ligne de partage imaginaire entre ceux qui travaillent, qui sont responsables, et d’autres qui profitent voire trichent.

La morale du mérite

Si l’injustice fondamentale consiste à ne pas reconnaître les individus à la mesure de leurs efforts et de leurs fautes, si les uns, ceux qui « se lèvent tôt », travaillent, se sacrifient pour d’autres, qui « trichent » et « abusent », le rôle de l’autorité politique est de corriger cet état des choses, en rendant à chacun selon son mérite propre : il faut que les uns se voient imposer des sanctions proportionnées à leurs fautes et que les autres reçoivent les récompenses dignes de leurs efforts. C’est le principe du mérite, et nul autre, qui aura pris la première place dans tous les discours du futur président, jusqu’à devenir la valeur centrale, voire l’étalon et le critère de toutes les autres valeurs.

Le mérite renferme une conception très séduisante de la justice qui peut s’imposer aussi bien dans le domaine de l’éducation, de l’économie, de la santé, de l’identité nationale, etc. Sa morale permet d’associer des idées politiques qui se marient pourtant difficilement, le libéralisme économique et le nationalisme identitaire par exemple. Il recèle un moralisme politique, qui porte en lui une part d’espoir et une autre de ressentiment, qui permet de penser qu’il suffit de consentir à des efforts (en travaillant plus, en s’intégrant, en respectant les lois) pour être récompensé (par un salaire plus élevé, par des meilleures notes à l’école, par le droit d’être français, par l’assurance d’être respecté par la police) et qui, de l’autre côté, permet de considérer un statut inférieur (chômeur, mauvais élève, sans-papier ou délinquant) comme le résultat généralement légitime d’une incapacité de responsabilité et d’effort, dont l’individu doit payer le prix.

En ce qui concerne la répartition des richesses, ce type de morale permet de justifier les inégalités sociales tout en ignorant la plupart de ses effets. Elle tend à attribuer l’intégralité de la réussite ou de l’échec d’un homme à l’effort dont il s’est rendu capable ; si elle parle aussi bien aux riches qu’aux moins riches, c’est qu’elle persuade les uns du bien-fondé de leur richesse et les autres de la possibilité de gagner plus pourvu qu’ils consentissent à des efforts. Ce discours a sa part de vérité, sans quoi il ne réussirait pas si bien, mais aussi sa part de mensonge, pour qui s’informe un minimum sur les conditions sociales de réussite [3].

Cette logique de la rétribution interdit de reconsidérer sérieusement la répartition des biens (des fortunes, du travail, de la reconnaissance sociale) : elle fustige toute volonté de répartition comme insensée et s’étonne à peine de la croissance délirante, scandaleuse, des inégalités actuelles. Elle concèdera qu’il faut bien des minima sociaux mais à un niveau tel qu’il permette tout juste à l’individu de survivre tout en lui imposant de chercher du travail… Pour peu qu’il y ait du travail, sans quoi le simple fait de survivre est redoublé part le sentiment de n’être qu’un incapable et l’objet d’une charité condescendante. A l’autre bout du spectre social, la même morale trouvera odieuse et indécente l’idée suivant laquelle il faudrait une limite supérieure, un seuil, sans se demander s’il n’y a pas un moment où la concentration de richesse est improductive voire dangereuse [4].

Par ailleurs, il faut poser le problème de la mesure du mérite, dans chaque cas où sa logique doit s’appliquer. Comment proportionner efficacement les efforts et les mérites ? S’il faut « travailler plus pour gagner plus » comment faire en sorte que la proportion soit équitable ? Comment justifier qu’à niveau d’effort comparable des disparités aussi considérables de salaires ? Serait-ce que les efforts des uns valent des milliers de fois plus que ceux des autres ? Et quel type d’efforts récompense-t-on ? Chacun sait que les travaux les plus désagréables sont aussi les moins payés et que les travaux les plus intéressants et les plus plaisants sont aussi le plus souvent les mieux payés [5]. A quoi se mesure-t-on le niveau de rétribution alors, si ce n’est à l’effort ? A des qualités telles que l’initiative, le courage, l’innovation, qui échappent par nature à toute mesure objective ?

Enfin, cette morale du mérite suppose qu’une majorité des citoyens agit principalement par intérêt ou par contrainte, en faisant passer au second plan les autres motivations, que sont par exemple le plaisir de l’activité elle-même ou le désir de donner aux autres. Par exemple, en matière d’éducation, il faut se demander si c’est en payant les professeurs au mérite (si toutefois c’est possible) et en leur imposant des contraintes plus élevées qu’on les motivera à faire des cours de qualité. Considérons un professeur attaché à la qualité de son travail et demandons-nous ce qui le motive [6] et, d’ailleurs, posons-nous la même question pour toute activité et pour tout acteur social, aussi bien le conducteur de train que le chef d’entreprise, le policier, le médecin, l’élu politique, le responsable d’association. Demandons-nous sérieusement si le goût de l’argent et la peur de la sanction suffisent à rendre les individus actifs et responsables.

Certes, le seul principe du mérite ne fait pas tout le programme du nouveau Président, dont le discours valorise aussi le « respect des autres », « l’honnêteté », « la famille », « le développement durable », etc. Il est parfaitement clair, toutefois, que la priorité vient au « travail », au « mérite » et à l’ « effort ». Si Sarkozy prône « une France où la réussite est au service de la solidarité », c’est parce que, de ce point de vue, la réussite économique, obtenue à force de « mérite », est la condition première, inéluctable, pour donner « plus » à ceux qui ont « moins ». D’abord la morale du mérite, ensuite la solidarité, laquelle se conçoit plus comme une sorte de charité, puisqu’il s’agit pour ceux ont « plus », et qui le méritent, de donner à ceux qui n’auront pu tiré leur épingle du jeu.

Quelle autre morale ?

Est-il possible de résister à cette morale ? La question vaut la peine d’être posée quand on voit la facilité avec laquelle elle a pu s’imposer dans le débat politique, y compris à gauche. De fait, le « donnant-donnant », le « contrat social » et la « société des droits et des devoirs » de Ségolène Royal représentent une autre version, certes moins radicale et réactionnaire, de cette même moralité où il faut proportionner ce qu’on reçoit à ce qu’on donne. Ce faisant, elle n’a pu conférer à sa conception de la justice la même franchise et la même clarté que son adversaire de droite. Cette stratégie de pondération était-elle la bonne ? Est-ce dans les pas de son adversaire que l’on construit sa victoire ? N’était-il pas plus simple de commencer par le début et remettre le mérite à sa place, c’est-à-dire au second plan ?

Pour qui - et quel que soit son horizon politique - rejette aujourd’hui la conception des valeurs de la droite actuelle, il devient indispensable de refuser la primauté du mérite. Il est aujourd’hui nécessaire, comme il l’a toujours été, d’adopter une morale de l’inconditionnalité, qu’il faut consolider et assumer avec force, c’est-à-dire une conception suivant laquelle les membres d’une société ont d’abord des droits et des devoirs inaliénables : le devoir premier et inconditionnel de solidarité, aussi bien envers ses concitoyens qu’envers les générations passées et celles encore à naître ; le droit à un revenu minimum, à un logement, à ne pas sombrer dans la misère, parce que personne ne le mérite.

C’est une conception selon laquelle la valeur d’une action ne se mesure pas à sa récompense, que le goût de l’argent, du prestige social ou du pouvoir ne sont pas nécessairement les motivations les plus fortes et les plus solides. Et c’est aussi une certaine idée de la justice qui estime que la punition ne suffit pas à éviter les échecs et les fautes, qu’on ne bannira pas les crimes en accentuant indéfiniment les peines, que la peur du châtiment ne suffira pas seule à démotiver l’augmentation des délits. On objectera qu’il s’agit d’un discours naïf, bêtement généreux, voire pervers puisqu’il inciterait à l’immobilisme plutôt qu’au changement, tout en générant un « sentiment d’impunité » chez les tricheurs et les criminels de toutes sortes. Ce serait effectivement le cas si on n’exigeait rien de personne, si la société donnait et pardonnait tout sans rien demander en retour, s’il ne s’agissait pas d’obliger chacun envers tous. Ce serait donner une image particulièrement naïve et irréfléchie de l’inconditionnalité, qu’il ne s’agit pas ici de défendre.

Enfin, s’il faut aujourd’hui soutenir une idée inconditionnelle de la justice, c’est aussi par pragmatisme. L’attribution des droits et des richesses suivant le mérite est fausse et mensongère, parce qu’elle ne s’appliquera jamais avec équité, parce qu’elle ne concerne pas tous les citoyens de la même manière, parce qu’elle vise très explicitement certaines catégories de population (ici celle des chômeurs, des travailleurs pauvres, des immigrés et des enfants issus de l’immigration post-coloniale), mais aussi parce qu’à vouloir fonder la justice sur la seule rétribution elle oblige à mesurer ce qui n’est pas mesurable et à affaiblir le dévouement et l’engagement dont beaucoup sont capables, en prônant une morale de la carotte et du bâton.

Le travail de critique et de réassurance qui est le nôtre n’est pas simple, mais s’il faut combattre des idées si bien installées, l’erreur, pour ceux qui craignent les politiques à venir, serait de considérer qu’ils sont désarmés. Si l’opposition à N. Sarkozy manque certainement de clarté, si elle est encore saisie par la peur, si elle apparaît trop dispersée quand son adversaire manifeste tant d’unité, elle a pour elle une qualité : elle est déjà extrêmement ferme et résolue. Et la force de cette opposition provient d’une profonde différence morale qu’il suffit de connaître et d’assumer, en affirmant ses propres valeurs en les réassurant sur tous les terrains, dans tous les domaines et dans chaque détail de la vie sociale.

Fabien Robertson

La revue du MAUSS

[1] Cf. cet article très intéressant sur le rapport de N. Sarkozy à l’histoire.

[2] On peut lire un résumé suggestif de cette émission .

[3] Sur le mérite supposé des grands hommes d’affaire, auxquels N. Sarkozy rend si souvent hommage, il faut lire le Portrait de l’homme d’affaire en prédateur de Michel Villette et Catherine Vuillermont (La Découverte, 2005).

[4] Il est toujours temps de s’interroger sur un Revenu maximal admissible. Cf. cet article de Denis Clerc.

[5] Si on le sait plus ou moins spontanément, on peut toujours vérifier cette inadéquation entre effort et reconnaissance salariale à travers la lecture de l’ouvrage de Christian Baudelot et Michel Gollac sur le rapport entre travail et bonheur en France Travailler pour être heureux ?, Bayard, 2003

[6] Sur cette question, on peut lire avec profit les « Considérations sur le métier de professeur » de Franck Depril.

19 mai 2007

Non l'économie française n'est pas en déclin!

Il est bien difficile aujourd’hui de trouver, dans les médias tant nationaux qu’internationaux, un commentaire sur l’économie française où manquent les mentions obligatoires de son déclin, de la faiblesse de la croissance, ou de la persistance d’un chômage de mass, et qui ne présente pas comme une évidence l’urgente nécessite de « réformes ». Entre guillemets, « réformes », car ce mot est devenu un nom de code plus ou moins explicite pour un programme à sens unique : libéralisation d’un marché du travail considéré « trop rigide » via l’assouplissement du code du travail, baisse des charges sur les entreprises, affaiblissement du contrôle de l’Etat, et, naturellement, baisse des impôts. Des travailleurs plus flexibles et moins chers seraient plus facilement embauchés, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises et leurs profits, sur le modèle anglais ou américain. Et évidemment les 35 heures tant décriées, cette « aberration économique », doivent être éliminées afin de remettre la France au travail.

Le problème est que ce programme, qui sert bien les intérêts des actionnaires et des dirigeants d’entreprise, se base sur une description extrêmement partielle et partiale de la réalité économique.


Le leitmotiv du déclin prend généralement appui sur la croissance plus faible de la France, relativement à celle de pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ces dernières années, et sur la baisse relative de son PIB par tête. Or cette description tronquée de la réalité ne tient pas compte de la distribution des richesses, et de l’augmentation extraordinaire de l’inégalité dans ces économies censées nous servir de modèle. En fait, toute la richesse créée dans ces pays a été captée par une tranche étroite de la population. Les revenus médians sont stagnants, alors que les revenus des 0,1% les plus riches de la population augmentent en flèche, au point d’être passés de 2% à 7% des revenus totaux en moins de vingt ans aux Etats-Unis, selon les chiffres de l’étude de Piketty et Saez.


« A New Gilded Age »
Martin Wolf, Financial Times, 25/04/2006

Ces 5% supplémentaires captés par les plus riches sont équivalents à l’appauvrissement relatif des Français (dont le PIB par tête est passé de 78% à 72% de celui des Américains sur la période, en moyenne) ce qui veut dire que la croissance économique a été identique en France — pour les 99,9% les moins riches de la population....


« European corporatism needs to embrace market-led change »
Martin Wolf, Financial Times, 24/01/2007


Le même graphique pour le PIB relatif de la France, excluant les 0,1% les plus riches

L’accroissement des inégalités se constate également à l’autre bout de l’échelle des revenus, où on note un taux de pauvreté infantile de 7% en France, de 16% au Royaume-Uni (le double de celui en 1979) et de 20% aux Etats-Unis (sans oublier les 15% d’Américains qui n’ont aucune couverture maladie).


« An overview of child well-being in rich countries »
UNICEF, Innocenti Report Card 7, 2007

Même en appliquant le seuil de pauvreté américain en valeur absolue (selon un calcul légèrement différent du précédent) il y a moins d’enfants pauvres en France (11% contre 14% — sans parler des 29% du Royaume-Uni), malgré un revenu moyen par tête de 30% plus faible.


« A league Table of Child Poverty in Rich Nations »
UNICEF, Innocenti Report Card 1, 2000

Chose extraordinaire en temps de paix, les Etats-Unis enregistrent aujourd’hui une augmentation de leur taux de mortalité infantile. Un enfant né dans une famille pauvre de ce pays a aujourd’hui une espérance de vie de 15 ans inférieure à celle d’un enfant né dans une famille aisée.

Il est compréhensible de défendre la liberté des membres les plus dynamiques de la société d’entreprendre et de bénéficier des fruits de leur travail, mais cette liberté accordée sans contrepartie s’accompagne inévitablement de fractures sociales bien plus marquées que celles connues en France. Le choix d’un niveau élevé de solidarité et de redistribution modère les revenus des plus riches, soit, mais, fait moins souvent évoqué, pas ceux des autres. Ainsi, la banque UBS a noté que le deuxième décile de revenus a connu une augmentation de son niveau de vie de 7% en France et une baisse de 12% aux Etats-Unis entre 1997 et 2004, et que le neuvième décile avait connu une augmentation de 12% en France et de 10% aux Etats-Unis. Un Français de revenu modeste ou membre des classes moyennes ou même aisées profite plus de la croissance modérée de l’économie française que son cousin américain ne profite du dynamisme de son pays.


« Unequal Economics »
UBS, 10/2006

Il semblerait donc que, sur le plan des revenus, les très riches forment le seul groupe qui bénéficie des « réformes ». Mais cette conclusion ne fait-elle pas bon marché du chômage dont souffre la France ?

Tout dépend de ce qu’on mesure. Ainsi, parmi les hommes de 25 à 54 ans, 87,6% avaient un emploi en 2004 en France, et 87,3% aux Etats-Unis, selon les chiffres de l’OCDE. Et pourtant le taux de chômage pour cette catégorie était alors de 7,4% en France, et 4,4% aux Etats-Unis. La ligne séparant chômage d’inactivité n’est visiblement pas mise au même endroit dans chaque pays... De même, le chômage des jeunes touche 8,4% des 15-24 ans en France, contre 5,5% au Danemark, 7,6% aux Etats-Unis et 7,5% au Royaume-Uni, donc pas de quoi crier à la faillite du modèle.


« Déréglementation sans précédent du marché du travail


Simon Briscoe
Financial Times, 20/04/2006

Certes, le taux de chômage est nettement plus élevé, mais cela reflète essentiellement le fait que la population active est plus étroite dans cette classe d’âge en France, notamment parce que moins de jeunes trouvent nécessaire d’occuper un emploi tout en poursuivant leurs études.


Le Monde, 31/01/2006


Eurostat, « Forces de travail 2000 »
via Le Monde, 26/01/2006

Mais les Français travaillent moins, nous dit-on.

Même pas (voir commentaire n°10, de Jean-François Couvrat). Les travailleurs français effectuent 37,4 heures par semaine en moyenne, contre 35,6 heures au Royaume-Uni. Les employés à temps plein travaillent effectivement moins longtemps en France (40,9 heures contre 43,2 heures en 2005), mais le nombre élevé d’emplois à temps partiel baisse la moyenne britannique ; le nombre d’heures totales travaillées dans le deux pays est à peu près équivalent, pour des populations similaires. Dire que les Français travaillent moins est donc tout simplement faux.

Par ailleurs, la France a créé autant d’emplois que le Royaume-Uni au cours des 10 dernières années : 2,5 millions. La seule différence est que, au Royaume-Uni, la création de postes a été très régulière, alors qu’en France, la quasi totalité de ces emplois a été créée entre 1997 et 2002, c’est-à-dire précisément au moment de la mise en place des 35 heures, et ce alors que la croissance mondiale a été plus forte ces 5 dernières années.


UNEDIC, « Statistiques annuelles des effectifs salariés affiliés »
via Le Monde


HSBC-CCF, Questions d’actualité - le Royaume-Uni en 2004

Plus remarquable encore, la France a créé plus d’emplois dans le secteur privé (+10% entre 1996 et 2002, selon l’OCDE) que le Royaume-Uni (+6%) ou les Etats-Unis (+5%). En fait, le Royaume-Uni n’a créé quasiment aucun emploi net dans le secteur privé depuis près de 5 ans, mais a bénéficié de l’augmentation très forte des emplois dans le secteur public.


OCDE, via Hussonet (pdf)

Cela reflète le fait que les croissances anglaise et américaine reposent très largement sur l’augmentation de la dépense publique, qui a littéralement explosé sous Blair et Bush, passant de 38% à 45% du PIB au RU et de 34% à 37% aux EU entre 2000 et 2006. Dans le cas britannique, cette relance keynésienne (centrée sur les secteurs de l’éducation et de la santé) s’est faite grâce à l’augmentation des impôts et à la cagnotte du pétrole de la Mer du Nord, tandis que l’administration Bush a présidé (pour payer sa guerre en Iraq) à une augmentation sans précédent de la dette publique --- et de la dette privée, la plupart des ménages se voyant obligés d’emprunter — sur le dos d’une bulle immobilière également sans équivalent — pour compenser la stagnation de leurs revenus. Mais dans ce cas-là, semble-t-il, il s’agit de « dynamisme ». Il paraît cependant légitime de se demander quelle partie du modèle anglo-saxon nous sommes conviés à copier...


« How Labour steered an economy going global »
Financial Times, 19/09/2006

Evidemment, il ne s’agit pas de dire que tout va bien en France, ni qu’il n’y a rien à changer. Mais le mot « réforme » est maintenant porteur d’un tel agenda idéologique qu’on aurait sans doute tout à gagner à l’exclure de tout discours qui se voudrait sincère. A moins, bien entendu, que nous soyons tous déjà d’accord que l’objectif qu’il convient de fixer soit effectivement de faire baisser les revenus des travailleurs les plus modestes afin de réduire le fardeau qui pèse sur les quelques « happy few » en haut de l’échelle des revenus.


« Bush Reorients Rhetoric, Acknowledges Income Gap »
Wall Street Journal, 26/03/2007

Il est tentant de se demander si le feu roulant qui tend à déprécier l’économie française provient de ceux qui ne supportent pas l’existence d’un modèle social différent, modèle qui prouverait que la « réforme » n’est pas indispensable. S’il est possible d’assurer la prospérité de presque tous en décourageant la concentration de la richesse entre quelques mains, cela élimine le principal argument des partisans du capitalisme débridé. Comme l’a dit le milliardaire Warren Buffett, les riches aux Etats-Unis mènent — et gagnent — la lutte des classes. Depuis la chute du mur de Berlin, ce vocabulaire semble décrédibilisé et désuet, ce dont certains ont su profiter. Il serait temps de noter qu’ils n’agissent pas dans l’intérêt de tous, mais uniquement dans le leur.

Betapolitique

08 mai 2007

La majorité c'est vous



photographie de René Maltête.

06 mai 2007

Un petit moment de détente en ces temps moroses...

04 mai 2007

Nicolas Sarkozy : le candidat des vieux inactifs à la retraite qui ont peur des jeunes et de la justice

L’enquête menée par IFOP pour le JDD et M6 sur les intentions de vote au deuxième tour donne gagnant Nicolas Sarkozy, avec 52,5% (-1,5%) contre 47,5 (+1,5) pour Ségolène Royal, avec 9% d’indécis.

Le résultat le plus surprenant de cette étude ne tient pas à ce chiffre, mais au détail de la répartition des votes par tranches d’âges.

En effet Ségolène Royal arrive en tête des intentions de votes dans toutes les classes d’âges situées en dessous de 65 ans.

Si le candidat de l’UMP parvient tout de même en tête c’est qu’il fait un tabac chez les retraités, avec un score atteignant 75% qui lui permet de combler son retard.

Ventilation par classe d’âge du vote Royal :
- 18/24 ans 53%
- 25/34 ans 54%
- 35/49 ans 56%
- 50/64 ans 51%
- 65 ans et plus 25%

Voila donc une réalité sociologique inattendue : c’est le vieillissement de la population qui tire le corps électoral français vers la droite. D’où très certainement la logique d’avoir tapé sur Mai 68, une période sans intérêt pour nous, Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy, mais un moment fondateur pour tous ces vieux qui se sont fait peur à cette époque.

Ainsi, loin d’être le candidat du travail et des forces vives comme son discours volontariste semble l’affirmer, Nicolas Sarkozy serait en fait celui de l’inquiétude et des peurs ressenties par une population vieillissante, devant une modernité qui la bouscule et qu’elle refuse.

Ainsi, malgré 5 années de propagande Sarkoziste avec l’aide massive de la plupart des médias, Ségolène Royal serait majoritaire dans le pays dans toutes les catégories d’age de 18 à 64 ans !!!!!!!!

Ainsi, tous les efforts des militants, des sympathisants, la mobilisation d’une partie des abstentionnistes le 22 avril se heurte à cet implacable constat : les trois quart des seniors de plus de 65 ans ruineront tout espoir de victoire !!!

Avec une préférence de 55 ou 60% pour Sarkozy, cette catégorie des « plus de 65 ans » n’aurait pas pu faire basculer l’élection. Mais avec 75%, chiffre considérable, c’est toutes les intentions de vote des moins de 65 ans en faveur de Ségolène Royal qui sont laminées.

Comment se fait-il que personne n’en parle !!!

On peut comprendre l’UMP qui n’a aucun intérêt à ébruiter une telle étude !!! Minoritaire chez tous les moins de 65 ans !! Une information des plus désagréable ! Un échec cuisant !

Il faudra sérieusement se pencher sur la question à court et moyen terme, afin de se rapprocher de cette tranche d’age pour expliquer, rassurer, rétablir certaines vérités.

A moins que tous les enfants et petits-enfants favorables à Ségolène Royal n’appellent leurs parents ou grands-parents avant dimanche 6 mai pour tenter de les raisonner, l’élection est perdue.

En attendant, une seule solution :

- Une mobilisation sans précédent de la part des abstentionnistes, votes blancs et votes nuls qui devront faire un effort considérable pour simplement rééquilibrer les choses.

- Faites circuler cette information autour de vous, et tentons tous de les convaincre autour de nous, autant que faire se peut, au nom de cette terrible et injuste pénalité infligée aux 18-64 ans opposés à Sarkozy.

source : http://contreinfo.info/article.php3 ?id_article=916

01 mai 2007

La France d'aprés...